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Décision 1997

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Grandeurs et périls des débats
LAURENT LAPLANTE
Le 17 mai 1997

Je manque d'enthousiasme à l'égard des «combats de coqs» qui font partie de nos habitudes et même de nos exigences électorales, mais je les sais destinés à durer.  Mieux vaut donc, sous peine de ressembler à don Quichotte, se résigner à leur présence, mais, si possible, en percevant mieux leurs risques.

Le premier risque de ces débats, c'est qu'ils nous ancrent dans l'impression que la discussion costaude entre des chefs politiques constitue la base même de notre santé politique.  On laisse entendre qu'un débat télévisé donne une juste idée de ce qu'est le quotidien politique et parlementaire.  Rien n'est plus faux.  Le Parlement, neuf fois sur dix, n'est aujourd'hui qu'un tampon encreur, qu'un rituel sans prise sur les décisions.  Certes, les députés ergotent, les ministres accueillent et noient les questions, mais, pendant que le Parlement s'agite et se prend terriblement au sérieux, l'exécutif a déjà décidé et les fonctionnaires modifient déjà les programmes et les services.  Le débat télévisé, en reproduisant ce rituel lui-même trompeur, dissimule la réalité au lieu de la révéler.  Il fait oublier, en effet, la futilité du débat parlementaire moderne.

Autre risque, le débat télévisé oriente souvent l'attention de l'électorat vers des aspects secondaires du leadership politique.  La rapidité des réflexes importe plus que la rigueur de l'analyse.  La maîtrise de l'image, depuis la couleur de la cravate jusqu'à l'angle du profil, prend le pas sur les proposeux-mêmes.  Ceux qui ont déjà fait partie de jurys de sélection savent d'expérience que tel individu qui «performe» admirablement lors des entrevues de sélection se révèle souvent inférieur à tout une fois confronté à la tâche.  Les entrevues, les débats, les affrontements permettent à des Pierre Trudeau, à des Jean Drapeau ou à des Jean Charest de l'emporter sur des Robert Stanfield ou des Claude Ryan.  Il n'est pourtant pas dit que la performance est ensuite à la hauteur des attentes.  Chose certaine, la rapidité avec laquelle la cote de popularité des élus dégringole quelques semaines après leur victoire montre bien que l'image ne garantit pas la gestion.

À ces risques s'ajoute celui-ci, majeur : le débat télévisé donne à beaucoup d'électeurs la trompeuse illusion qu'ils savent désormais à quoi s'en tenir et qu'ils n'ont plus à s'informer des enjeux et des options.  L'image, en effet, est à ce point puissante qu'elle annihile le doute et, du coup, la curiosité.  Quiconque a vu croit avoir compris.  Quiconque a regardé tout ou partie du débat télévisé en oublie la nécessité de l'analyse, de la vérification, de l'approfondissement.  Il passe à autre chose.

Rituel étrange et trompeur que celui-là.  Il impose, en effet, de mauvais critères, promet ce qu'il ne peut garantir, encourage la paresse des citoyens.  Nul candidat, pourtant, ne peut s'y soustraire.  Peut-on quand même dire, à la Andersen, que le roi est nu et que le débat télévisé apporte peu à la démocratie?

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Courrier
Mise en ligne : Le 17 mai 1997.
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Montréal (Québec)
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