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Décision 1997

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Incompétence ou cynisme?
LAURENT LAPLANTE
Le 22 mai 1997

Nous sachant amnésiques, les ténors politiques ont repris avec assurance leurs promesses de 1993 sur la création d'emplois.  Nous présumant ignorants, ces mêmes ténors parlent comme si leurs plus récentes stratégies pouvaient nous ressusciter l'époque du plein emploi.  S'ils osaient plutôt dire enfin la vérité, ils éviteraient le couplet simpliste de style «jobs, jobs, jobs» et ils s'attaqueraient lucidement et honnêtement à la vraie question : est-il possible, et comment, d'empêcher que notre société soit à jamais et cruellement cassée en deux?

Que notre société soit, de fait, cassée en deux, tous peuvent le constater.  Banques et grandes sociétés baignent dans les dividendes, tandis que se multiplient les mises à pied.  Les gourous de la gestion enseignent à prix d'or comment dissocier le profit des investisseurs et la sécurité de la main-d'oeuvre.  Une minorité de techniciens et de professionnels de haut vol choisissent calmement l'entreprise qu'ils honoreront de leurs connaissances et qui les rémunérera à prix d'or, tandis que, dans les bas-fonds de la pyramide sociale, des centaines de milliers de personnes sont méprisées et bannies comme autant de parasites sociaux.  Quiconque a des yeux voit cela.

Ce que l'on sait également, et que nos aspirants gouvernants n'osent pas dire, c'est que jamais l'emploi traditionnel, du type lundi-vendredi-neuf-heures-à-cinq-heures, ne reviendra jamais avec assez de vigueur pour que l'ensemble des hommes et des femmes de notre temps y trouvent directement leur compte.  Crier «jobs, jobs, jobs» révèle tantôt l'incompètence, tantôt le cynisme, tantôt les deux.

Ceux de nos aspirants gouvernants qui nous respectent doivent donc nous dire enfin comment ils entendent redistribuer les retombées de la richesse collective.  Comment, dans un monde qui ne peut compter sur le seul libéralisme économique pour assurer la dignité de tous et de toutes, l'État tel qu'ils le conçoivent va éviter de se liguer avec le méchant shérif de Nottingham et va plutôt jouer le rôle d'un ingénieux et compatissant Robin des bois.  Quelque part entre l'État-providence, qui a démoli nos anciens réseaux de solidarité, et l'actuel État-obéissance, qui s'agenouille devant l'autel des cotes de crédit, il faut, en effet, inventer une société qui soit à la fois stimulante et conviviale, une société où le temps de travail soit taillé autrement, mais surtout une société où ceux qui prospèrent n'utilisent plus leur emploi pour culpabiliser ceux que le chômage croissant dépouille de leur dignité.

Si, par malheur, nos aspirants gouvernants n'ont jamais réfléchi à cette question et ne savent quoi inventer, qu'ils aient au moins la décence de répondre à l'interrogation suivante : «Dans une société cassée en deux, avec quelle moitié vous rangez-vous?»  De cette manière, nous saurions au moins qu'ils voient le problème et qu'ils ne rient plus de nous.

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Courrier
Mise en ligne : Le 22 mai 1997.
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Montréal (Québec)
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