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Décision 1997

Analyse des sondages

Les électeurs discrets, ceux vraiment indécis
et le vote du Bloc québécois


PIERRE-ALAIN COTNOIR
Le 12 mai 1997

Dans les nombreux sondages rendus publics par les médias au cours des dernières semaines, la distribution des répondants discrets a été réalisée en appliquant la méthode de la répartition proportionnelle, c'est-à-dire que l'on a départagé les «discrets» en se fiant aux proportions obtenues auprès de ceux ayant fait connaître leur intention de vote.

Cette façon de faire apparaît sur le plan méthodologique totalement injustifiable.  En effet, l'on ne peut sérieusement prétendre que la fraction des répondants discrets correspond, ne serait-ce qu'en termes de ses caractéristiques socio-démographiques, à la partie des répondants ayant exprimé leur choix.  Or, la répartition proportionnelle repose nécessairement sur une telle prémisse.

Ainsi, les résultats publiés en fonction de ce procédé sont-ils inexacts, gonflant les intentions électorales pour les uns et les amenuisant pour les autres.  Pour éviter de biaiser ainsi les résultats, plusieurs approches ont été développées par les sondeurs.  Certaines d'entre elles reposent sur une comparaison empirique de sondages réalisés lors des campagnes électorales antérieures avec les résultats obtenus lors des scrutins concluant ces campagnes.

D'autres approches sont fondées sur l'utilisation d'une panoplie d'outils statistiques, telle l'analyse discriminante, permettant de classifier les répondants discrets en fonction d'une multitude de variables plus ou moins corrélées avec l'intention électorale.  Jusqu'à maintenant, ces instruments mathématiques constituaient le nec plus ultra des moyens mis à la disposition des sondeurs.  Mais, principal inconvénient, ils ne peuvent être utilisés qu'avec des données répondant à des contraintes métriques précises.  D'autre part, ils sont relativement inefficaces pour modéliser des phénomènes de nature non linéaire, tels ceux mis en cause dans les variations de l'opinion publique.

Depuis une décennie se sont développés avec un succès retentissant de nouveaux algorithmes qui connaissent une large gamme d'applications dans des domaines aussi variés que l'ingénierie, la finance, la cybernétique ou la médecine : ce sont les réseaux neuroniques.  En sciences sociales, ces nouveaux instruments de recherche n'ont connu cependant qu'une diffusion limitée.

Ils permettent d'accroître manifestement l'exactitude et la robustesse des modèles de classification ou de prédiction.  Ils sont bien adaptés aux données appartenant aux échelles ordinales ou nominales usuelles dans les sondages.

«Unlike other approaches to computing, neural nets are well adapted to handle analyses of topics in social sciences where input information is incomplete and results are approximations.  That is, as a computing strategy, neural nets are relatively fault-tolerant.  Where neural nets are appropriate, they may be superior to conventional statistical techniques for pattern-matching». (David Garson, 1991, A Comparison of Neural Network and Expert Systems Algorithms with Common Multivariate Procedures for Analysis of Social Science Data, dans Social Science Computer Review 9 : 3, p. 405).

Ne voulant pas entrer dans le détail d'une présentation des réseaux neuroniques, je réfère ici le lecteur, profane en ces matières, au lien hypertextuel suivant, An Introduction to Neural Networks, pour qu'il puisse y trouver matière à satisfaire sa curiosité.  Disons simplement pour notre propos que les réseaux neuroniques se divisent en plusieurs catégories dont l'une regroupe les algorithmes permettant d'«apprendre» à un réseau neuronique à faire la discrimination entre plusieurs types de réponse.  C'est cette dernière catégorie qui nous intéresse ici.

J'ai donc employé un perceptron multicouche à rétropropagation aux fins d'établir un barème dans l'attribution des répondants discrets au Bloc québécois pour des sondages menés au Québec.  Cette petite recherche a pu être réalisée en utilisant un sous-ensemble de variables, provenant d'un terrain réalisé en avril dernier (je remercie la firme Sondagem pour sa collaboration).

Les variables utilisées ont été les suivantes :
  • l'intérêt envers la politique,
  • l'intention de vote référendaire,
  • l'intention de vote provincial,
  • la langue parlée à la maison.
Le réseau neuronique (généré par le logiciel Predict de la compagnie NeuralWorks inc.) attribue environ le tiers des intentions de vote des répondants discrets au Bloc québécois.  Ce qui, appliqué aux derniers sondages (SOM et Léger et Léger) donne entre 36 et 38 % des intentions de vote pour ce parti.  Transposé en termes de sièges, ce résultat se traduit par la perte d'une dizaine de sièges pour le Bloc québécois, passant de 54 élus en 1993 à une projection de 44 députés pour 1997.

Cependant, le même réseau révèle que le vote conservateur se compose, pour un peu moins de la moitié, d'électeurs possédant des schèmes de réponses permettant de les classer dans la même famille politique que les électeurs bloquistes.

Donc en appliquant, une hypothèse voulant que la campagne du BQ s'améliore et que le vote conservateur chute, le BQ pourrait récupérer de cinq à huit pour cent du total des intentions de vote, ce qui le ramènerait aux alentours de 42 à 45 % des intentions de vote.

Pour y arriver, il faudrait absolument que la campagne du BQ lève au cours des prochains jours de manière à repolariser l'électorat selon le clivage référendaire.  En 1993, c'est ce qui s'était produit.  Au début de l'été 1993, les intentions de vote envers le Bloc tournait autour de 41 %; par ailleurs, environ 16 % des électeurs qui avaient voté non au référendum de Charlottetown s'apprêtaient à appuyer les conservateurs dirigés par Kim Campbell.

Or, comme ce dernier contingent d'électeurs se partageait au niveau provincial moitié-moitié entre péquistes et libéraux, quand l'outre s'est dégonflée en cours de campagne pour les conservateurs, le Bloc est allé chercher sa partie naturelle du vote conservateur pour atteindre finalement les 49 %.

Peut-il espérer maintenant rééditer cet exploit?

Pas vraiment.  Car la popularité de Jean Charest au Québec en fait un dangereux adversaire.  Il faudrait que Gilles Duceppe marque plusieurs points à son encontre lors du débat des chefs pour renverser la situation.  Il faudrait que le chef du BQ fasse en sorte que la campagne recrée les lignes de démarcation entre souverainistes et fédéralistes pour espérer coincer les conservateurs entre les libéraux et son parti.

Or, nous n’en sommes pas là.  Gilles Duceppe n'est pas Lucien Bouchard et Jean Charest n'a pas commis les bourdes de Kim Campbell.  Au mieux, peut-il espérer endiguer l’hémorragie.  Dans ce sens, le BQ risque de terminer la campagne plus près des 40 % que des 45 %, si aucun événement conjoncturel ne vient infléchir celle-ci.

La semaine dernière, je parlais des courants de fond qui polarisent l'opinion publique au Québec.  Si l'on tente de chiffrer en pourcentage la force de l'un et l'autre camp, on peut évaluer le vote souverainiste dur à environ 35 % de l'électorat, le vote fédéraliste dur à un peu plus de 40 %, entre les deux oscillent des électeurs dont les hésitations en font une cible de choix pour les conservateurs.

Au cours des prochaines semaines, ce sont ces électeurs québécois qui seront le point de mire des stratèges des grands partis.  Ils seront courtisés par les conservateurs qui n'auront de cesse de tenter de montrer leur ouverture aux revendications du Québec, de se faire les amis des souverainistes mous, tandis que les leaders souverainistes tenteront de retrouver le vote de tous ceux qui ont à coeur l'émancipation du Québec.  Le seul problème pour les communicateurs de ces grands partis, c'est que le principal dénominateur commun de ces électeurs aux convictions fragiles, c'est leur faible intérêt pour la chose politique et le peu de temps qu'ils consacrent à en suivre les développements à travers les médias.

Voilà donc tout un défi à relever...

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Courrier
Mise en ligne : Le 12 mai 1997.
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