Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 10 janvier 2000
Les pédagogies de l'antitabagisme

Établissons clairement ma position.  Je suis depuis une bonne trentaine d'années un fumeur fermement repenti.  Je ne m'ennuie même plus de la si comblante cigarette qui accompagne le premier café du jour, et la fumée que me jette au visage tel fumeur impénitent me choque sans m'induire en tentation.  Cela dit, je ne suis pas du tout certain que les campagnes antitabagismes menées par nos gouvernements ou même par tel regroupement de non-fumeurs prosélytes soient très efficaces, ni même qu'elles soient toujours d'une logique impeccable.

Les gouvernements, visiblement, ont en commun avec la petite enfance de croire à la pensée magique.  Ils n'ont, en tout cas, aucune difficulté à concilier le soutien aux agriculteurs qui produisent le tabac et les campagnes publicitaires qui en déconseillent la consommation.  Ils n'ont pas non plus d'objection à encaisser les revenus considérables qui découlent de la taxation des cigarettes tout en faisant mine d'interdire aux grandes manifestations sportives ou culturelles le recours à des commandites axées sur la cigarette.  Qu'il soit permis de voir là plus d'opportunisme que de cohérence.

Quand, sur un chemin de Damas au tracé obscur, ils ont pris soudain conscience que le public, à son rythme, mais avec constance, diminuait sa consommation de cigarettes, nos gouvernants ont également été prompts à monter dans le train.  Ils n'ont pas dit mot pendant que la consommation était à son comble; ils veulent s'insérer dans la photo s'il devient possible de fêter la diminution de la consommation.  Au lieu de laisser les fumeurs passer un à un à l'abstention ou du moins apprendre à civiliser leurs habitudes sociales, les gouvernements courent alors héroïquement au secours de la victoire.  On voit alors surgir les règlements qui interdisent de fumer en dehors des cagibis prévus pour ce vice.  On adopte d'inefficaces et vertueux interdits qui frappent une interminable gamme de lieux publics.  On exige de l'industrie qu'elle se flagelle sur la place publique en affirmant sur les paquets de cigarettes que « le tabac tue ».  Puis, toujours engoncés dans leur pensée magique, nos législateurs crient victoire : ils ont vaincu la cigarette puisqu'ils en ont fait un crime.

Mais voilà, en France ou en Belgique comme au Québec, que les résultats trahissent les espoirs des politiciens.  Oui, la consommation globale régresse selon une tendance qui s'est enclenchée avant les interventions législatives, mais les jeunes, les jeunes filles surtout, fument autant ou plus et souvent contractent l'habitude plus hâtivement.  On révise alors la pédagogie et l'on tente de savoir si mieux vaut interdire la publicité ou interdire la vente aux mineurs.  Beaucoup, dans l'état actuel de l'analyse, ont le sentiment qu'interdire la publicité sur la cigarette n'a eu aucun effet, mais que la surveillance de la vente en avait eu.

Serait-il permis d'inciter nos gouvernements à une cure de logique et de réalisme?  D'une part, la tentation de la cigarette, comme toutes les autres, se contrôle difficilement de l'extérieur.  D'autre part, plus personne ne doute que le tabagisme soit nocif et que sa nocivité coûte une fortune à la collectivité.  Soit.  Telle est l'équation.  Une interdiction visant la publicité demeure forcément stérile quand, par exemple, elle n'a aucune prise sur les habitudes du cinéma américain.  Les jeunes vont au cinéma, regardent fumer la grande majorité de leurs idoles, puis fument.  Exiger des stations de radio l'interdiction de la musique américaine donnera d'aussi désastreux résultats tant que les jeunes trouveront dans leurs discothèques la musique américaine en surabondance.  Que la cigarette fasse partie d'un monde dont beaucoup d'éléments échappent à tout contrôle devrait donc faire partie des évidences.  Il se pourrait même que le tabagisme de nos jeunes révèle en eux un vague-à-l'âme et une solitude contre lesquels l'interdiction sera stérile.  Voilà qui devrait rendre les gouvernements plus modestes.

Et puis, il ne faudrait pas que nos gouvernements poussent l'hypocrisie jusqu'à convertir en vertu ce qui est chez eux un simple souci d'équilibre budgétaire.  Ce n'est pas toujours par altruisme qu'on a pratiqué la désinstitutionnalisation, mais par pression budgétaire.  Ce n'est pas non plus parce que l'alcool a des vertus thérapeutiques qu'on le laisse couler et qu'on le taxe.  Si, à partir de considérations budgétaires, on interdit aux gens de mourir du vice qu'ils ont choisi, on admettra que la zone de liberté octroyée aux humains vient de se rétrécir.

Je ferme la boucle.  Je déteste le tabagisme.  Je déplore que les jeunes en soient les premières victimes.  Mais je pense que la société allait d'elle-même dans la bonne direction avant que l'État ne se découvre vocation vertueuse.  Je pense, enfin, que les prohibitions de toutes natures coûtent plus cher, en énergie gaspillée comme en liberté perdue, qu'elles ne rapportent.




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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