Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 13 janvier 2000
Mauvais débat entre le CRTC et la SRC

Il y a dans la culture de la Société Radio-Canada (SRC) une forme de pensée magique qui serait simplement amusante si elle ne coûtait rien.  On y veut à la fois le financement public et l'autonomie qui dispense de rendre des comptes au sujet des subventions reçues.  À la fois le beurre et l'argent du beurre.  Comme si ce n'était pas suffisant, l'auguste Société ne se soumet à aucune évaluation si ce n'est la sienne.  Quand cela l'avantage, elle brandit ses cotes d'écoute; quand l'auditoire n'est pas là, Radio-Canada allègue l'inanité des critères quantitatifs : elle fait œuvre de qualité.  On aura compris que Radio-Canada est pleinement satisfaite d'elle-même et que ce ne sont pas les avis du CRTC qui vont altérer sa sérénité.  La culture est grande et Radio-Canada est son prophète.

Divers éléments méritent une place dans l'analyse.  Le premier, c'est que Radio-Canada, malgré tout, est la seule entreprise de téléradiodiffusion qui se soucie, de façon au moins occasionnelle, de culture.  Les concurrentes, qui réclament que l'on enferme Radio-Canada dans une camisole de force, n'assumeront jamais la relève culturelle.  Qu'on émascule la SRC et elles abâtardiront un peu plus leur propre programmation.

Un deuxième élément, c'est que le CRTC appartient depuis toujours au vaste clan des « grands parleurs, petits faiseurs » .  Il parle, ergote, tape du pied, menace, impose des conditions, mais ne passe jamais aux actes.  Cela, qui était vérifiable même sous les règnes flamboyants de Keith Spicer ou de Pierre Juneau, l'est toujours.  Pire encore, le CRTC a toujours manqué de constance autant que de logique.  À une certaine époque, le CRTC ne voyait aucun risque à laisser l'ensemble des médias entre les mains de monopoles régionaux : le clan Brillant à Rimouski, l'empire Gourd dans le Nord-Ouest, la nébuleuse Desruisseaux à Sherbrooke...  Puis, le CRTC vit d'un mauvais œil qu'un magnat de la presse écrite comme Pierre Péladeau envahisse le champ de la radiodiffusion.  Les critères changeaient.  Puis, le CRTC refusa à Power le droit de s'implanter en télédiffusion, mais accepta ensuite la jonction (et le conflit d'intérêts ) entre Vidéotron et le même secteur.  Comprenne qui peut.  Le bilan du CRTC en ce qui touche au contenu canadien dans la programmation de la radio privée ou dans la création d'oligopoles radiophoniques adipeux et mercantiles est également désastreux, tout comme est honteuse sa mollesse face au fléau que sont la plupart des tribunes téléphoniques.

On peut donc comprendre que la SRC entretienne un souverain mépris pour le CRTC.  Seule nouveauté dans le nouvel affrontement, le président Rabinovitch, fort de ses appuis au sein du parti libéral, exprime publiquement quelque chose d'un mépris autrefois discret.

Troisième élément, une télévision et une radio publiques sont, dans le cas d'un pays toujours menacé par le rouleau compresseur américain, une nécessité vitale.  Si ces institutions n'existent pas ou si on lésine sur leur financement, on peut enterrer l'idée d'une quelconque autonomie canadienne.  Cette nécessité, cependant, ne confère pas à la direction de la SRC le droit d'orienter l'entreprise n'importe comment.  La SRC n'a aucune légitimité si elle s'entête à propager le cinéma américain et le sport commercial et si elle perd jusqu'au souvenir de son ancienne créativité en théâtre ou en émissions pour les jeunes.  Autant se justifie un sain financement d'une SRC consciente de son rôle, autant la SRC mérite la guillotine si elle demeure le jouet d'une gestion centralisée, nombriliste et arbitraire.  La SRC, institution publique, cesse d'ailleurs d'appartenir au monde démocratique si, comme elle n'a cessé de le faire, elle ne retient que ce qui convient dans les avis du CRTC.  La mauvaise foi est choquante, par exemple, quand une radio publique à laquelle la publicité est interdite multiplie quand même les « sorties » commanditées par telle auberge ou tel centre de ski, fait tirer, à grands coups de mentions publicitaires, billets de théâtre, dictionnaires et envois d'office de toutes natures.  Réclamer le financement d'une télévision et d'une radio publiques, tout en pactisant avec une pléthore d'intérêts commerciaux privés, voilà qui accule l'analyse à une alternative : la SRC est-elle myope et inconsciente ou lucide et rebelle?

Quatrième élément de l'analyse, une institution publique comme la SRC est vouée à l'échec si ceux qui déterminent ses grandes orientations et son financement n'ont pas stature de chefs d'État.  Une SRC présidée, comme elle le fut souvent, par une personne immergée dans la mouvance libérale sera toujours tentée de faire jouer ses pistons politiques contre le CRTC.  Ce fut le cas.  C'est aujourd'hui le risque que fait courir la présidence de M. Rabinovitch.  La SRC a couru un risque inverse mais comparable quand le gouvernement central a habilement confié à un président d'allégeance conservatrice, M. Perrin Beatty, le soin d'imposer d'imprudentes compressions budgétaires.

Y a-t-il une conclusion?  Tout au plus une probabilité : la présidence de la SRC va continuer de miser sur ses appuis partisans pour contrer le CRTC.  La coulisse continuera d'avoir plus d'importance que le débat public.  Et l'institution publique restera à distance de sa mission originelle.  Qui parlait d'exception culturelle?




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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