Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 3 février 2000
Seattle, puis Davos, et puis quoi?

Ceux qui décrivent comme un échec le sommet tenu à Seattle par l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) ne désirent apparemment qu'une chose : répéter l'expérience le plus souvent possible.  Ceux qui, au contraire, se vantent d'avoir bloqué la mondialisation en faisant déraper la rencontre de Seattle ont tenté de piéger de la même manière les échanges de Davos.  Dans les deux cas, on a voulu aligner Davos sur Seattle.  Dans les deux camps, on lit mal le passé et on stérilise d'avance la prochaine étape.

Seattle, en effet, a montré les limites de l'arrogance et des politiques à base de fait accompli, mais n'a infléchi en rien les orientations générales de l'OMC.  Seattle s'est tout simplement heurté à l'obstacle qui avait stoppé l'exorbitant Accord multilatéral sur l'investissement (AMI) : l'opinion.  En voyant l'OMC préparer Seattle en ne tenant aucun compte de l'échec de l'AMI, une conclusion devait sauter aux yeux : l'offensive tout azimut du capital ne se résignera jamais à l'échec.  Après l'AMI, Seattle; après Seattle, Davos; après Davos, nouvel assaut, et cela jusqu'à la victoire finale.

Seattle fut peut-être une opération mal planifiée, peut-être, au contraire, une bataille délibérément perdue, mais ce ne fut certes pas la fin de l'offensive des forces favorables à l'homogénéisation de la planète, ni même une défaite majeure pour elles.  Bomber le torse, comme le font certaines organisations non gouvernementales (ONG) en criant victoire, c'est donc convertir une escarmouche en apocalypse décisive.

Davos, dans cette perspective, constitue donc un motif d'étonnement.  Davos, en effet, nous montre deux camps déterminés à répéter Seattle comme si Seattle avait été la réponse à toutes leurs espérances.  Ceux qui croyaient, en proposant l'AMI, puis une accélération de la mondialisation, pouvoir bousculer l'opinion et tous les États de la planète, ont si mal compris la leçon de Seattle qu'ils ont entamé les échanges de Davos avec le triomphalisme qui vient pourtant de leur valoir une rebuffade.  Le petit sondage de départ donnait le ton : 91 % des congressistes dressaient un bilan euphorique de la situation économique de la planète Terre.  Sans doute s'agissait-il du point de vue de Sirius sur nos humbles réalités.  Certes, on ne doit pas s'attendre à ce que le capitalisme victorieux et prospère fasse amende honorable; on pouvait cependant espérer de sa part la prudence suggérée par l'AMI et Seattle.  Pour gagner, il ne fallait plus plastronner ni humilier.  Leçon perdue.

Pourquoi cet entêtement dans la répétition des mêmes agressantes autocongratulations?  Parce que, fort probablement, le grand capital ne se ressent pas encore des contestations subies à Seattle et à Davos.  C'est là que les ONG à l'origine de ces contestations commettent leur plus grave erreur d'appréciation : en l'absence d'ententes négociées et conclues publiquement, le grand capital poursuit dans l'ombre et la discrétion son nivellement de la planète.  C'est tout.  Pourquoi s'affolerait-il?  Que lui en coûte-t-il de verser des larmes de crocodile sur les déplorables échecs de l'AMI et de l'OMC?  Pourquoi serait-il désespéré de devoir régler dans les coulisses ce qu'on l'a empêché de régler au grand jour?  Il ne consent à décrire Seattle comme un échec que parce que l'échec ne lui coûte; il se comporte à Davos comme à Seattle alors qu'il gagnerait à ne plus défier l'opinion.

De leur côté, les ONG n'ont rien à gagner à amplifier le tintamarre qui repousse la mondialisation dans l'ombre complice.  L'important n'est pas de torpiller les grands-messes où le capital se rend hommage à lui-même, mais de construire ou de moderniser un forum mondial où les règles commerciales pourraient se discuter publiquement et où le débat accorderait leur place aux dimensions humaines et sociales du commerce.

Ce forum, on l'oublie trop volontiers, il existe, au moins à l'état d'ébauche.  C'est l'ONU.  C'est avec l'ONU et donc avec les États signataires de la Déclaration universelle que doivent dialoguer les groupes qui portent le discours humanitaire et démocratique.  Pas avec des émanations de l'ONU, mais avec l'ONU elle-même.  Pas avec des clubs restreints comme le G-7 ou le gratin de Davos, mais avec l'ONU.  Pas avec le FMI, la Banque mondiale ou l'OMC, mais avec l'ONU.  Pas pour se substituer à l'autorité politique de l'ONU, mais pour exercer sur l'ONU la pression et l'influence des grandes préoccupations sociales et démocratiques.  L'humanité a besoin d'une ONU assez forte politiquement pour contenir l'économie dans ses limites et d'un regroupement des ONG capable d'agir comme un véritable conseil de surveillance.

Utopique?  Oui, à condition que l'on redonne au terme son sens magnifique.  Face au bloc économique qui a fait son unité, la préoccupation humanitaire et démocratique doit faire la sienne.  Ce travail s'est amorcé au Sommet de Rio quand les ONG ont pris conscience de leur force et ont entrepris de se doter de réseaux.  Il reste à utiliser ces réseaux autrement qu'en manifestations.




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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