Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 7 février 2000
Conditions gagnantes pour mépris assuré

J'avais d'abord cru à un lapsus, mais j'ai dû admettre, tant le premier ministre Bouchard se gargarisait de l'expression, qu'il s'agissait bel et bien de sa part d'une conviction réfléchie.  Ce n'en est que plus humiliant et plus scandaleux.

Je dis humiliant et scandaleux parce qu'un peuple qui a besoin de chercher dans le ciel les conjonctures favorables ou de bricoler le domaine terrestre pour le rendre, au moins pour un temps, efficacement euphorisant est à mes yeux un peuple qui ne tient pas vraiment à sa souveraineté.  Ou bien un peuple tient à sa souveraineté et la veut jour et nuit par vents et marées, ou bien d'autres la veulent pour lui et cherchent dans les sciences de la manipulation l'astuce qui séduira l'opinion publique le temps d'un référendum.  En ce sens, « réunir les conditions gagnantes » équivaut à dire aux Québécois qu'ils ne tiennent pas vraiment à la souveraineté et qu'il faudra pour qu'ils s'en portent acquéreurs la leur présenter sous un emballage séduisant et à un moment de bonheur particulier.  Si le peuple québécois est celui qu'imagine M. Bouchard, il ne mérite pas la souveraineté; s'il diffère substantiellement de l'image que s'en fait le premier ministre du Québec, c'est celui-ci qui ne mérite pas de porter sur ses épaules la cause souverainiste.  Dans les deux cas, évoquer à haute voix et de façon répétitive les conditions gagnantes d'un éventuel référendum est humiliant et scandaleux.

Certes, d'autres interprétations sont possibles.  Elles ne valent quand même pas beaucoup mieux.  Tous tombent d'accord, bien sûr, pour ne plus jamais s'embarquer dans un référendum perdant.  Trois fois en vingt ans ou à peine davantage, cela n'est plus seulement ridicule, mais indécent.  Aucun pays raisonnablement crédible ne bénirait la souveraineté québécoise si elle ne devait prendre conscience d'elle-même qu'après quatre ou cinq référendums.  Un troisième référendum perdu sonnerait donc le glas des espoirs souverainistes au Québec...  On comprend cela.  Craindre le ridicule et flairer le vent pour ne pas s'enliser dans un tel guêpier, ce n'est quand même pas l'indice d'une grande confiance en la fierté québécoise.  Si c'est ce sens prudent qu'il faut donner à l'expression de M. Bouchard, reconnaissons-lui les qualités qui font les bons conservateurs, mais doutons de la confiance qu'il place dans la fierté de son peuple.

Soyons quand même de bon compte.  M. Bouchard sait, comme la plupart d'entre nous, que le Québec d'aujourd'hui ne vit pas l'enfer même s'il est soumis à l'arbitraire usuel du régime fédéral canadien et à l'inculture arrogante de politiciens de seconde zone comme MM. Chrétien et Dion.  La situation ne ressemble donc pas à celle d'un pays balte écrasé par Moscou ou d'un Timor oriental quotidiennement assailli par les milices officielles ou téléguidées par Djakarta.  On ne peut donc pas s'attendre à un endossement quasi unanime de la thèse souverainiste dans un Québec où de nombreux individus trouvent leur compte dans le régime actuel.  Des analyses de conjoncture deviennent ainsi nécessaires qui ne le sont pas ou pas autant sous d'autres latitudes.  Soit.  Mais analyser la conjoncture, ce n'est pas faire reposer la souveraineté québécoise sur un coup de force ou sur un prétexte saisi au vol ou créé de toutes pièces.  L'expression de M. Bouchard est suffisamment maladroite pour laisser redouter une telle interprétation.

Une autre interprétation encore mérite, malheureusement, d'attirer l'attention.  À voir l'insistance de M. Bouchard et de son gouvernement à réduire le déficit québécois à zéro en un temps record, on en arrive spontanément à ranger l'assainissement des finances publiques parmi les condtions gagnantes d'un référendum sur la souveraineté.  Visiblement, M. Bouchard ne voudrait pas rater ce que MM. Martin, Klein et Davis ont réussi. Traîner un déficit écrasant alors que les gestionnaires d'allégeance fédéraliste ont liquidé ce boulet, M. Bouchard craint que cela serve de puissant argument à ceux qui croient le Québec incapable de se gérer.  Pareil raisonnement se défend.  À condition, cependant, que M. Bouchard sache expliquer que la lutte au déficit n'est pas au Québec dictée par la même philosophie que celle qui a motivé les autres gouvernements du Canada.  Si un Québec souverain n'est qu'un Canada en plus petit et un autre gouvernement viscéralement enraciné à droite, ce n'est vraiment pas la peine de tout bouleverser.  Liquider un déficit pour accorder plus de latitude encore aux grands prédateurs, cela peut se faire sans traverser le choc de l'indépendance.  Le liquider pour édifier une société enfin distincte et enfin conviviale, c'est autre chose.  Dans le premier cas, c'est d'un alignement passablement servile qu'il s'agit; dans le second, l'élimination du déficit n'est pas une condition gagnante pour une victoire référendaire, mais un pas courageux et concret dans l'édification, quoi qu'il advienne, d'une société différente.  Cela, ni M. Bouchard, ni surtout M. Landry ne l'ont expliqué.  À croire que telle n'est pas leur opinion.

Dans l'état actuel des choses et en l'absence d'un discours politique clair et distinct, l'expression de M. Bouchard est au mieux humiliante, au pire scandaleuse.




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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