Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 16 mars 2000
Impénétrable et douloureuse Afrique

L'Afrique, nous dit la CNUCED (Conférence des Nations-Unies sur le commerce et le développement), est le continent qu'oublient les investissements internationaux. Résumant le rapport 1998 de l'organisme, Le Monde écrivait (29 septembre 1999) : « Le continent africain n'a capté l'an dernier qu'à peine 1,3 % des investissements mondiaux. »  Si l'on ajoute à cette mise à l'écart le fait que l'Afrique vit plus que sa part de génocides et de cataclysmes naturels, on n'a pas trop des ressources combinées du roman, de l'essai et de l'économique pour essayer de comprendre.

Dans Un baobab rouge (Éditions du Vermillon, Ottawa, 1999), Jean-François Somain fait vivre ses personnages dans le Sénégal de 1980 ou à peu près.  Le romancier y a d'ailleurs vécu lui-même suffisamment longtemps pour parler de la société ouest-africaine avec compétence et sympathie.  Même si l'on ne peut convertir un roman en bilan sociologique, Somain accorde néanmoins tant d'importance aux conditions de travail de son personnage d'ingénieur qu'on entend forcément le message.  Son Marc est chargé de la construction d'entrepôts.  Il agit en liaison avec l'Agence canadienne de développement international (ACDI).  Il est ainsi à l'interface entre ce que les Occidentaux aiment bien appeler l'aide internationale et ce que les Africains y voient et en font.  Somain a trop de métier pour sonner bêtement la charge, trop d'humanité pour verser dans le simplisme ou le blâme, mais aussi trop de lucidité pour ne pas décrire la toile de fond contre laquelle tout se déroule.  Toile de fond tissée de corruption, de gaspillage, d'entêtement et de voracité politiques et religieuses.  De quoi glisser vers le désenchantement et rentrer chez soi.

Somain confirme ainsi en romancier ce que déjà René Dumont assenait comme jugement une quinzaine d'années plus tôt : L'Afrique noire est mal partie ( Seuil, 1966).  Dumont devait préciser le verdict au fil des ans, comme le manifestent deux autres ouvrages : L'Afrique étranglée (Seuil, 1980) et Pour l'Afrique, j'accuse (Seuil, 1986).  Deux pleines décennies s'écoulent ainsi sans jamais fournir la preuve d'une quelconque amélioration, en amenuisant plutôt l'espoir.

Séjournant au Sénégal au début de 1992, j'essaie à mon échelle, en journaliste plutôt désorienté, de faire le point.  Je regarde, j'écoute, je consulte.  Je vois des coopératives féminines transformer le poisson, mais je les vois exploitées par la polygamie et les marabouts.  Je vois des artisans transformer les immenses fromagers en pirogues, sans pour autant pouvoir concurrencer les usines flottantes des flottes étrangères ancrées au large de Gorée.  Parmi les lectures qu'on me conseille sur place, un livre en particulier me fait réfléchir. Rédigé par Axelle Kabou, une Camerounaise bardée de diplômes et forte de ce qu'on appelle le vécu, le bouquin lance brutalement la question : Et si l'Afrique refusait le développement? (L'Harmattan, 1991).  La question pousse la réflexion dans deux directions différentes.  D'une part, Axelle Kabou critique, comme seule a le droit de le faire une Africaine, les comportements africains.  D'autre part, elle s'en prend, avec une verdeur comparable, à l'idée que certains pays soi-disant altruistes se font du développement.  On ressort de la lecture avec un doute accrû et très inconfortable : que peut-on attendre de l'aide internationale si celui qui la reçoit l'intercepte pour mieux la stériliser et si celui qui l'offre ne comprend pas les valeurs fondamentales de l'Afrique?

C'est dans cet état d'esprit que je devais lire deux ans plus tard un autre bouquin au titre troublant : Et si le Tiers Monde s'autofinançait (Éditions Écosociété, 1994).  Jacques B. Gélinas y manifestait un scepticisme égal à celui d'Axelle Kabou quant à la fécondité de l'aide internationale.  Comme elle, il constatait que l'aide offerte se confond avec un endettement irrémédiable et se solde par une dépendance renouvelée du Tiers Monde et de l'Afrique en particulier à l'égard des modes et des rythmes de gestion des pays donateurs.  Gélinas, dont la pensée présente bien des aspects communs avec celle du Groupe de Lisbonne, concluait (presque) sur une invitation... à laisser l'Afrique tranquille.

Pourquoi ce survol ambigu?  En premier lieu, parce que je dois interviewer Jean-François Somain dans le cadre du prochain Salon du livre de l'Outaouais et que je range la lecture préalable parmi les exigences de la politesse.  En deuxième lieu, parce que la dévastation du Mozambique, par le déchaînement des hommes et celui des éléments nous force, une fois encore, à réfléchir aux meilleures façons d'aider un continent qui a subi les dominations de l'Occident plus qu'il n'a bénéficié de son aide.  Il ne s'agit pas de refuser les gestes qu'exige la solidarité internationale, mais de moduler l'aide, même urgente, selon les besoins de l'autre.




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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