Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 30 mars 2000
Épitaphe pour une guerre glorieuse

Amnistie Internationale vient de rendre public un rapport qui couronnera de l'épitaphe qu'elle mérite la coûteuse et cynique opération Tempête du désert.  L'Arabie saoudite y est décrite dans ses aspects les plus radicalement contraires à tout ce qui fait la dignité de l'humanité, mais ce pays n'est pas le seul à mériter la réprobation.  Tous ceux, Canada compris, qui ont volé au secours de l'Arabie saoudite et lui ont vaillamment immolé l'Irak doivent aujourd'hui vérifier leur cohérence et leur lucidité.  Entre deux tyrannies, ils ont tout simplement fait triompher la plus pétrolière des deux.

Au moment où sévissait la guerre Nintendo contre Saddam Hussein, quelques voix avaient osé adopter un ton critique.  D'une part, il était manifeste que l'empressement américain à mobiliser l'humanité provenait non d'une noble cause, mais du plus vif intérêt pour le pétrole arabe.  D'autre part, rien, dans le comportement de l'immense famille royale d'Arabie saoudite, ne s'apparentait aux valeurs démocratiques.  On observa d'ailleurs qu'une partie de la richissime jeunesse dorée gravitant autour des milliards pétroliers avait tourné le dos à la guerre et gagné prudemment l'Égypte.  Quelques observateurs moins conditionnés que d'autres se demandaient donc s'il était vraiment logique et glorieux de mettre au service de cette dynastie l'ensemble des nouvelles technologies guerrières.

Sans grande conviction, la propagande américaine fit alors savoir que, bien sûr, le régime saoudien se ferait un plaisir et un devoir, sitôt la paix revenue, de se plier aux règles démocratiques.  On n'allait quand même pas jusqu'à expliquer comment des élections pourraient déboulonner les majestés régnantes, mais on promettait d'agréables surprises.  On connaît la suite.  Strictement rien n'est venu améliorer le sort fait aux femmes, la cadence des exécutions capitales s'est maintenue à la moyenne de deux par semaine, la torture a creusé davantage encore son sillon de haine et d'humiliation.  Les chiffres établis par Amnistie internationale font de l'Arabie saoudite d'aujourd'hui la championne de l'exécution capitale toutes proportions démographiques respectées.

L'Irak, pendant ce temps, vit toujours sous la botte de Saddam Hussein.  Le pouvoir personnel du dictateur n'a pas été abattu par l'opération Tempête du désert.  En revanche, le pays est disloqué, les services de santé et d'éducation ramenés plusieurs décennies en arrière, la population, les enfants en particulier, privée du minimum vital.

La preuve est donc faite : le pétrole de l'Arabie saoudite, après avoir pesé plus lourd que l'Irak et ses enfants, pèse également plus lourd, dans l'analyse financière et industrielle du monde organisé, que les droits des citoyens saoudiens.

J'imagine qu'on m'expliquera paternellement les réalités de ce monde et qu'on m'incitera à « comprendre ».  Le pétrole, me dira-t-on, coûte présentement beaucoup trop cher pour le bien de notre économie et ce n'est pas le temps de servir des reproches crispants à l'Arabie saoudite.  Ce n'est pas du Nigéria ni même de la Norvège qu'il faut espérer une rapide et importante augmentation de la production pétrolière et une baisse des prix, mais de l'Arabie saoudite, presque seule à pouvoir ouvrir instantanément le robinet.  Je devrais donc faire la part des choses, tout comme je devrais au passage modérer les ardeurs des militants d'Amnistie internationale.

Qu'on me permette pourtant de persister.  Je ne me porte pas à la défense de Saddam Hussein.  Même s'il a en partie raison de revendiquer comme Irakien le sol maintenant occupé par l'Arabie saoudite, Saddam Hussein n'a pas lui non plus une fibre démocratique hypertrophiée.  Je constate simplement que ceux qui ont mis l'Irak en tutelle et appauvri cruellement sa population n'ont rien exigé de l'Arabie saoudite en paiement de la protection offerte.  Ces pays, le nôtre compris, avaient pourtant l'occasion rêvée de rappeler l'Arabie saoudite à ses devoirs.

Gardons bien en mémoire qu'Amnistie internationale ne limite pas son constat aux exécutions capitales.  Une autre honte encore afflige l'Arabie saoudite : la torture.  La présence massive de ce fléau montre que ce n'est pas à une quelconque interprétation du Coran qu'il faut imputer la répression saoudienne, mais à la volonté d'une dynastie courtisée par nos capitales.  On verserait dans le sophisme et le cynisme en absolvant l'Arabie saoudite au nom de sa foi religieuse.

J'aligne ma conclusion sur le livre de Serge Patrice Thibodeau*.  On y apprend que, selon le Conseil international pour la réadaptation des victimes de la torture, de 20 à 30 % des réfugiés dans le monde ont subi la torture, soit des millions de personne.  Quand on croise ces données avec le fait qu'une moitié des 23 millions de réfugiés que compte la planète sont des enfants, on verse dans l'horreur.  Surtout si on se rappelle que nous avons contribué au sort que subissent, des deux côtés de la frontière, les populations saoudiennes et irakiennes, femmes et enfants compris.



*La disgrâce de l'humanité - Essai sur la torture, vlb éditeur, 1999.

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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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