Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 10 avril 2000
Leur Afrique, notre référendum

Prenons pleinement conscience du nombrilisme québécois.  Sur les ondes de Radio-Canada, l'émission, généralement bien faite, qui a nom La presse d'un peu partout, a noté, deux jours de suite, le silence dont les quotidiens parisiens ont entouré la visite du premier ministre Lucien Bouchard dans la capitale française.  Au même moment, la presse québécoise accordait plus d'attention aux états d'âme de Céline Dion et, pire encore, de Jos Canale qu'aux résultats du sommet tenu au Caire par quinze pays européens et la cinquantaine de pays qui composent l'Afrique.  Parallèle déprimant.

J'avoue, d'entrée de jeu, mon ambivalence quand je vois Québec et Ottawa se crêper le chignon à l'étranger.  Je ne sais quel sentiment, de la colère et de l'humiliation, devrait primer en moi.  Je trouve ridicule que nos gouvernants des deux espèces exportent nos querelles, houspillent l'opinion française et sollicitent servilement l'approbation de décideurs lointains.  Quand, en plus, la presse d'ici s'étonne de ce que la presse de là-bas lève le nez sur les deux séries de plaideurs que nous leur envoyons, et ma colère et mon humiliation progressent toutes deux vers le point d'ébullition.

Je sais très bien que le jour peut venir où le Québec, par delà un troisième référendum, aura besoin d'une reconnaissance française pour devenir officiellement le 185e État admis à l'ONU, mais pourquoi ces offensives inopportunes, prématurées, tapageuses?  Pourquoi aller dire là bas qu'il y a ici du référendum dans l'air, alors que Québec et Ottawa sont d'accord pour constater que strictement rien n'annonce un référendum à court terme?  Déménager nos scènes de ménage à Paris est une sottise; s'étonner qu'elles ne suscitent aucun intérêt au coeur de l'Europe en étale une autre.

Quand, en plus, nos médias, de façon à peu près unanime et constante, repoussent le sommet du Caire à la marge de l'actualité, on bascule de l'insignifiance au plus grave des aveuglements.  L'Afrique est aujourd'hui le seul continent où l'endettement échappe toujours au contrôle.  Contrairement à ce que l'on peut penser, l'aide internationale au développement, dont on parle tant à propos de l'Afrique, n'est pas en hausse, mais en baisse.  Comme le souligne Jean-Louis Roy*, « l'aide publique au développement ne représente plus, en 1997, que 0,22 % du PIB des pays de l'OCDE, comparativement à 0,33 % en 1992.  À la vérité, l'aide publique est tombée à son niveau le plus bas depuis un demi-siècle ».  Autant dire que l'Afrique subit de façon continue ce qui, en Asie et en Amérique du Sud, a été perçu comme une crise et qui a alors provoqué de puissantes interventions de la communauté internationale.  D'où, aurait-on pu penser, l'importance d'un sommet où, enfin, l'Europe, longtemps porteuse et bénéficiaire du colonialisme en Afrique, prenait langue avec un continent qui n'a pas encore surmonté le découpage et l'exploitation que les civilisés (?) lui ont infligés.  D'où la surprise et la honte quand nos médias se dépensent en cogitations au sujet des impatiences appréhendées du grand capital au sujet du leadership de Jean Charest, mais n'ont rien à dire du premier face à face entre l'Afrique et l'Europe.

Certes, l'Europe n'a guère répondu aux espoirs de l'Afrique.  La France et l'Allemagne, une fois de plus, ont endormi leur opinion publique en évoquant leur intention d'effacer certaines ardoises africaines, ce qui est déjà quelque chose; ce n'est quand même pas une absolution d'un ou deux milliards qui va soulager l'Afrique d'une dette de presque 400 milliards dont le service exige d'elle à peu près 40 % de son budget.  Cela, il faut que nous le sachions.  Pour que nous le sachions, il faut que les médias le disent.  Si nous le savions, peut-être serions-nous moins simplistes dans nos protestations contre le coût du café, du cacao, des arachides ou du pétrole.

Il est honteux que nous ne sachions rien, pour cause de silence médiatique, de ce qui distingue Washington du Japon et de l'Europe en ce qui a trait à l'Afrique.  Il est anormal que nous ne sachions pas, du moins pas aussi précisément que ceux qui bénéficient de médias moins paroissiaux, à quel point les règles brutales de l'Organisation mondiale du commerce se sont substituées à la gestuelle déjà stérile de l'aide internationale.  Surtout, il est indécent de reprocher aux grandes capitales étrangères de s'intéresser aux relations entre deux continents plus qu'à nos marécageuses agitations constitutionnelles.  Quand un sommet historique entre l'Europe et l'Afrique ne nous intéresse pas, ne demandons pas aux quotidiens de Paris d'analyser des projets de lois qui ne nous mobilisent même pas nous-mêmes.



*Une nouvelle Afrique, Hurtubise HMH, 1999, p. 159.


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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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