Dixit Laurent Laplante
Barre de navigation
Québec, le 20 avril 2000
Mafia Boy : Punir ou prévoir?

Au moins un des petits futés qui ont ébranlé Yahoo et Amazon sur leurs bases a été identifié.  Il a procédé du haut de ses quinze ans et depuis Montréal.  Visiblement soulagée, la grande responsable de la justice américaine, Janet Reno, a réclamé pour l'adolescent une sévère punition.  Ce n'est pourtant pas de cette manière qu'il faut chercher la consolidation des réseaux informatiques.

Parce qu'ils constituent la plus grande puissance du monde, les États-Unis ont tendance à croire qu'ils peuvent gagner sur tous les tableaux.  Ils poursuivent leurs concurrents devant l'Organisation mondiale du commerce et les y accusent de concurrence déloyale, mais ils multiplient eux-mêmes les atermoiements avant de se soumettre aux verdicts rendus contre eux par la même OMC.  Ils refusent pendant des années de verser leur cotisation à l'ONU, mais ils substitueront à une ONU récalcitrante une OTAN docile pour mieux bombarder la Yougoslavie.  Ils rappellent aux autres l'importance des droits universels, mais ils ignorent les reproches qui leur sont adressés à eux-mêmes par Amnistie Internationale et multiplient allègrement les exécutions capitales.  Quand on pèse lourd, il ne devrait pourtant pas être nécessaire de pratiquer le jeu du deux poids, deux mesures.

Dans le cas des inquiétudes vécues par certains des grands exploitants d'Internet, la justice américaine a déjà conclu que c'est à un adolescent, dont la culpabilité n'a d'ailleurs pas encore été établie, de payer pour les imprudences de ces consortiums.  Pourquoi, en effet, ne pas gagner sur les deux tableaux?  Pourquoi ne pas faire pression à l'échelle mondiale pour que les enfants, dès le berceau, apprennent le maniement de l'ordinateur et naviguent à qui mieux mieux, tout en blâmant les enfants si, d'aventure, ils demandent à l'ordinateur autre chose que ce que prévoit le livre du maître?  Pourquoi ne pas accumuler des milliards en faisant de la Toile le partenaire obligé de toute formation et de toute économie, tout en refilant aux utilisateurs la tâche d'assurer la fiabilité de la machine et du réseau?  Quand de telles contradictions surgissent dans la tête des enfants, on appelle cela la pensée magique.  Mais peut-être l'industrie informatique s'est-elle octroyé le droit de rentabiliser jusqu'à ses propres incohérences.

Je ne suis pas en train de bénir la criminalité informatique.  Elle constitue une menace contre laquelle l'humanité doit être protégée.  La question est de savoir, d'une part, de qui relève cette protection et, d'autre part, de quelle criminalité il s'agit.  Dans le cas des jouets mis à la disposition des enfants, on ne blâme pas l'enfant, mais le fabricant si le jeu de blocs est revêtu de peinture toxique ou si le petit camion présente des angles coupants.  L'industrie informatique n'a pas à crucifier un adolescent si elle a engrangé des milliards avant même d'assurer l'étanchéité de ses joints.  Qu'elle fasse d'abord son propre travail.  Quant à Janet Reno, on souhaite qu'elle fasse les distinctions souhaitables : pour qu'il y ait crime, encore faut-il qu'on puisse constater une intention criminelle.  Cela n'est pas toujours le cas quand l'acte est le fait d'un enfant ou même d'un adolescent.  Que Janet Reno sache aussi ceci : la justice québécoise, malgré les agités qui remanient présentement la législation sur les jeunes contrevenants, a bien peu à apprendre d'un régime qui n'en finit plus de ne pas régler le sort du jeune Elian.

Je n'ai pas la naïveté de penser que l'industrie informatique va battre sa coulpe ailleurs que sur la poitrine de ses clients.  Quand elle a tardé à prévoir le passage à l'an 2000, elle n'a pas vu dans son mauvais calcul matière à présenter ses excuses.  Mais non!  Elle a tout simplement amplifié les inquiétudes au sujet du fameux bogue et vendu profitablement du nouvel équipement ou des mécanismes de protection.  Des excuses?  Pourquoi s'y plier quand on contrôle tout?

Espérons néanmoins que l'industrie informatique se civilisera plus rapidement que d'autres.  Il aura fallu des décennies avant que l'industrie automobile assume ses responsabilités et procède au rappel des voitures mal assemblées ou peu sécuritaires.  Il aura fallu du temps et des pressions pour que l'industrie du téléphone tarife moins cyniquement les appels effectués par des enfants à l'insu des parents.  On attend encore de l'industrie du tabac qu'elle mette fin à des pratiques commerciales opaques ou carrément criminelles.  Du fait qu'il s'intègre désormais au décor de l'école et de la famille, l'Internet doit tenir compte du fait que les jeunes y ont accès et qu'on les a même priés de s'en approcher.

Exploiter l'école et la famille, puis réclamer une peine exemplaire contre un adolescent qui navigue trop bien, cela n'honore ni l'industrie ni la justice.




Haut de la page
Barre de navigation


© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
Dixit À propos de... Abonnement Archives Écrire à Dixit