Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 25 avril 2000
La difficile amitié France-Québec

Dans son plus récent ouvrage, l'homme politique français Philippe Séguin presse le Québec de jeter avec la France les bases d'une francophonie renouvelée et plus apte à faire face à l'homogénéisation mondiale de la culture.  Plus Français que moi, tu meurs ! (Albin Michel - VLB, 2000) se termine donc sur un appel lancé au Québec et au Canada pour qu'ils se laissent mutuellement l'espace que requiert cette mission.  À Québec, cette conclusion a paru naïve aux yeux de plusieurs.

L'analyse de Philippe Séguin, qui est l'une des personnalités politiques majeures dans la France d'aujourd'hui, ne manque pourtant pas de séduction.  Face à l'anglais, qui se prétend un peu vite le modèle unique, diverses communautés culturelles et linguistiques doivent se donner les moyens de la résistance et de l'épanouissement.  Pas seulement la francophonie, mais aussi l'ensemble espagnol, l'ensemble portugais, etc.  Il faut, écrit Séguin, que les sommets de la francophonie cessent de se complaire dans les effets de manche et débouchent sur une exemplaire lutte contre les disparités économiques et sociales qui opposent le Nord et le Sud.  Cela, qui constituait la justification initiale des sommets de la francophonie, a été oublié en cours de route, au point que le fossé s'élargit d'année en année entre la richesse et la démocratie du Nord et les diverses carences du Sud.  La solution, selon Séguin, implique, d'urgence, une communion de vues entre la France et le Québec.  Le reste de la francophonie suivra.

De ce plaidoyer, le gouvernement québécois semble avoir surtout retenu, parce qu'il lit toutes choses avec ses lunettes constitutionnelles, que le Québec doit recommencer à pied d'oeuvre une autre ronde de négociations avec Ottawa.  On ne se sent pas le courage de recommencer l'inutile.  Le milieu péquiste est d'autant plus enclin à se braquer contre l'hypothèse de nouveaux pèlerinages à Ottawa que Séguin a donné à sa proposition une formulation qui, de fait, prête flanc à la critique.  « Le Canada, écrit-il, ne peut-il comprendre que la qualité de ses relations avec le Québec dépend aussi de son aptitude à ne pas jouer les pitbulls en faction permanente. »  Se tournant ensuite vers le gouvernement québécois, il ajoute ceci : « Quant au Québec, plutôt que de se résigner à une fuite en avant - l'intégration dans un ensemble panaméricain qui aurait du moins l'avantage apparent de " l'affranchir du Canada " - n'est-il pas prêt à admettre que le choix de la francophonie s'impose?  Et qu'il passe par une nouvelle négociation avec le Canada?  Et vite. »  Pour quiconque a pu observer déjà l'intransigeance abrupte du tandem Jean Chrétien-Stéphane Dion, voilà un programme qui manque décidément d'attrait.

Lors d'un débat public entre la ministre québécoise des Affaires intergouvernementales, Louise Beaudoin, et Philippe Séguin, à l'occasion du Salon du livre de Québec, on a pu, heureusement, déceler autre chose que de la naïveté dans cette proposition.  Loin d'inviter le Québec à attendre passivement l'aval fort peu probable du gouvernement fédéral, Séguin imagine plutôt un Québec prenant l'initiative, mais choisissant habilement les terrains où il pourra plus aisément résister aux mesquineries fédérales et obtenir le soutien de la France.  Il ne donne pas de ligne de conduite au gouvernement québécois, mais il évoque l'hypothèse suivante : puisque des centaines d'étudiants tunisiens fréquentent les universités québécoises, n'est-il pas normal, dans le cadre de ce que permet déjà l'Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), qu'un ministre québécois rencontre son homologue tunisien pour discuter éducation?

Présenté ainsi, le projet d'un renforcement de la francophonie change de registre. Québec va à la limite de ce qu'autorise sa présence au sein de l'ACCT.  Si le gouvernement fédéral se drape dans sa susceptibilité et fait pression sur Tunis pour que cesse son dialogue avec le Québec, il sera loisible aux autres composantes de la francophonie, la France au premier chef, d'entrer dans la danse.  Si c'est cela la véritable nature de la proposition Séguin, l'idée d'une « nouvelle négociation » avec le Canada cesse de paraître improbable ou candide.  La réaction de la ministre Beaudoin a d'ailleurs été immédiate : « Je vais le faire... »

Bien sûr, certains feront reproche à Philippe Séguin de ces hypothèses de stratégie.  Ceux-là voudront y voir la répétition prévisible et regrettable de l'intrusion gaulliste dans le cheminement québécois.  Ils auront tort.  D'une part, la France se mêle de ce qui la regarde quand elle cherche à renforcer la francophonie.  Tant mieux, d'ailleurs, si les sommets de la francophonie se donnent de la substance.  D'autre part, comment blâmer la France de ses ingérences quand le premier ministre canadien multiplie au Proche-Orient les déclarations les plus intempestives ou quand Washington exige du Pérou et de Fujimori un deuxième tour électoral?




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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