Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 4 mai 2000
L'éthique d'un chef de police

Les occasions de critiquer la police font rarement défaut.  Qu'il s'agisse du recours à une force excessive ou de la manifestation de préjugés racistes, les bavures policières sont vertement dénoncées par les médias et abondamment critiquées par l'opinion publique.  Il arrive pourtant, comme ce semble être le cas pour le chef de police de Miami, que l'éthique policière s'exprime d'irréprochable façon.  Cela aussi mérite d'être noté.

La toile de fond est suffisamment familière pour qu'on glisse rondement sur les détails.  D'ailleurs, la saga du jeune Elian a tellement duré qu'on risque de n'en plus voir l'essentiel.  L'essentiel, d'ailleurs, n'est pas uniformément honteux.  Même si les autorités fédérales américaines ont été lentes à faire leur lit, elles ont quand même clairement fini par adopter la seule attitude décente : l'enfant doit être rendu à son père et ils seront tous deux libres de retourner à Cuba.  Pour la première fois en une quarantaine d'années, la Maison blanche et Fidel Castro étaient au diapason.

Malheureusement, la communauté cubaine de Miami a choisi l'autre thèse.  Le maire de Miami, Joe Carollo, s'est solidarisé avec cette communauté et avec cette thèse.  À tel point que l'autorité fédérale a dû rappeler à ce maire et à cette communauté qu'on ne peut pas ne retenir de la loi que les éléments qui nous conviennent.  Le rappel n'a rien changé : le maire ne voyait rien d'incongru à rompre le lien entre Elian et son père et à bafouer au passage la règle de droit.

Du coup, le chef de police de Miami, William O'Brien, est coïncé.  D'une part, il lui incombe, comme chef de la police de Miami, de faire respecter la loi et la règle de droit.  D'autre part, son employeur, la ville de Miami, a opté pour la délinquance.  On imagine sans peine son état d'esprit.  Sa situation achève de devenir déchirante lorsqu'on lui révèle, tout juste une heure avant l'événement, le plan des agents fédéraux.  O'Brien doit-il révéler à son maire qu'un raid fédéral se prépare?  Doit-il, au contraire, laisser la légalité suivre son cours?  O'Brien est placé, comme à peu près tous les chefs de police l'ont été un jour ou l'autre, à l'interface entre la police et la politique.  Il fait face à la quadrature du cercle et à l'un des plus difficiles défis que puisse lancer la démocratie.  En démocratie, en effet, on ne veut pas que le pouvoir politique contrôle la police de trop près, mais on ne veut pas non plus que la police échappe au contrôle des élus et devienne un État dans l'État.  Quand le Québec a vécu la crise d'Oka, la même question s'est présentée : qui, de la Sûreté du Québec et du ministre de la Sécurité publique, avait donné le signal de l'assaut contre le blocus autochtone?  La réponse n'a jamais été claire.

Dans le cas du chef O'Brien, la réponse a été claire.  Il n'a rien dit à son maire du plan mis au point par les agents fédéraux, car, a-t-il expliqué, son maire avait déjà explicitement pris position contre la règle de droit.  Le mettre au courant équivalait à mobiliser instantanément et émotivement la communauté cubaine de la ville.  La réaction des autorités municipales a éloquemment démontré à quel point le chef O'Brien avait eu raison de choisir la discrétion.  Aujourd'hui encore, le maire de Miami met tout en oeuvre, y compris l'opinion publique, pour que le jeune Elian, malgré les décisions rendues, demeure aux États-Unis et, qui plus est, auprès de son grand-oncle.  O'Brien avait raison.

Mais O'Brien, logique jusqu'au bout, va plus loin.  Même s'il sait n'avoir fait que son devoir, il sait aussi que le lien de confiance entre le maire de la ville et lui n'existe plus.  Il tire donc de la situation nouvelle la seule conclusion correcte : il démissionne.  Il affirme ainsi que la police peut et doit respecter son éthique même quand les élus lui demandent le contraire, mais il reconnaît du même souffle que les élus demeurent malgré tout le pouvoir suprême et qu'un chef de police n'a qu'à se retirer s'il a perdu la confiance des élus.  O'Brien, visiblement, a compris deux choses : il devait obéir à sa conscience même si elle lui recommandait de désobéir à l'autorité municipale, mais il devait ensuite assumer les conséquences de cette louable désobéissance.

J'aime assez l'analyse par laquelle O'Brien explique son attitude : « La seule chose qui me préoccupe est de faire ce qu'il faut.  Si vous vous inquiétez de perdre votre travail, vous ne faites pas ce métier. »  Chapeau.




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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