Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 11 mai 2000
La griserie du pouvoir

Quand ils découvrent que leur programme en demande trop au bon peuple, les partis politiques sont tentés par une alternative.  Ou ils mettent de l'eau dans leur vin, au risque de perdre ce qui les différenciait, ou ils se mettent en quête du chef charismatique qui saura bien, lui, rendre populaire ce que le programme peut avoir de rébarbatif.  Dans les deux cas, le parti améliore ses chances de parvenir au pouvoir; dans les deux cas, il risque l'érosion de son projet.

Ce dilemme, seuls les partis à contenu idéologique le vivent.  Les partis qui ne sont qu'une agglutination d'intérêts ne connaissent pas ces déchirements honorables et douloureux.  Au Québec, le Parti québécois a maintes fois vécu de telles révisions, tandis que le Parti libéral, après une courte période consacrée à la révolution dite tranquille, est retourné à sa recherche sereine du pouvoir et ne s'intéresse à l'idéologie que pour s'en dire exempt.  Sur la scène fédérale, les conservateurs, les libéraux, le Reform Party et ses éventuels avatars se disputent la droite de l'échiquier politique et adulent à qui mieux mieux le néolibéralisme débridé.  Quant au Bloc québécois et au Nouveau Parti Démocratique (NPD), ils se retrouvent périodiquement à ce carrefour où il faut choisir entre l'utopie pure qui éloigne le pouvoir et les contorsions stratégiques qui garantissent la survie et l'insignifiance.

Au cours du week-end qui vient de se terminer, le Parti québécois a clairement choisi : c'est le pouvoir qui l'intéresse.  Le programme demeure dans les mémoires, mais il ne doit jamais réduire la marge de manoeuvre d'un chef qu'on croit capable de conserver le pouvoir.  Si le chef veut un référendum, il le tiendra au moment de son choix; personne ne l'oblige à en faire une priorité.  Si le chef estime qu'un débat sur la langue française est inopportun dans le contexte actuel, on le laisse libre de le repousser à plus tard.  Il va de soi qu'on laissera le chef diriger personnellement le débat, comme il a pris l'habitude de le faire à propos de tout.  Quant à l'idée d'associer la thèse souverainiste à une offre de partenariat avec le Canada, le chef et ses porte-parole cultivent savamment l'équivoque.  Ils affirment que les chances de l'emporter sont meilleures si le partenariat fait partie de la question référendaire, mais ils laissent entendre qu'il s'agit simplement de l'offrir...

On s'étonne de rencontrer autant de souplesse au sein d'un parti qui s'est souvent fait un devoir de saucissonner les virgules et de se fragmenter bruyamment en chapelles tonitruantes.  Que s'est-il passé?  La réponse se trouve dans les sondages.  Depuis quelque temps, tous révèlent que le chef du Parti libéral, Jean Charest, est en chute libre.  Il déçoit la population par le vide de ses déclarations, il étonne même ses partisans les plus convaincus par le caractère improvisé, flou, paresseux de ses critiques.  Dans les coulisses, mais sur un ton quand même assez claironnant pour qu'on se le dise, les grands intérêts qui ont lancé Jean Charest à l'assaut de la citadelle péquiste estiment qu'il ne leur en donne pas pour leur argent.  La prévision électorale se modifie donc à l'avantage du Parti québécois.  Il devient plausible que, pour la première fois depuis Duplessis, un gouvernement québécois reçoive un troisième mandat consécutif.  Du coup, la morosité disparaît des coeurs péquistes : le pouvoir est à portée de main.

L'évolution de la conjoncture présente un aspect inattendu.  Un principe politique pourtant éprouvé se trouve, en effet, remis en question.  Selon l'adage, ce n'est pas le parti d'opposition qui renverse le gouvernement, mais le gouvernement qui, par son usure, ses erreurs ou l'incertitude ambiante, perd le pouvoir.  Cette fois, il semble, par un étonnant renversement, que ce soit l'opposition qui permette à un gouvernement essoufflé et vieilli d'espérer un renouvellement de mandat.

À une condition, cependant : que le gouvernement n'aille pas succomber à ses vieux démons et redonner vie à une opposition démoralisée.  Il convient donc, et toutes les factions péquistes en sont tombées d'accord, que le chef soit plébiscité sans ambiguïté aucune, que les dossiers chauds aboutissent au congélateur, que le chef règne sur une armée monolithique.

L'opération que semble avoir réussie Lucien Bouchard en rappelle une autre.  Un certain Robert Bourassa avait semblablement réussi à retourner comme une crêpe la jeune génération libérale qui venait d'avaliser gaiement le rapport Allaire.  Robert Bourassa avait sifflé la fin de la récréation.  Obéissante et presque honteuse, la jeune garde était revenue à l'orthodoxie prudente que préconisait son chef.  C'était pourtant, pour Robert Bourassa, une victoire à la Pyrrhus.  Le chef, certes, avait prouvé son emprise sur le parti, mais au prix de deux fêlures : Mario Dumont partait fonder un nouveau parti et le Parti libéral renonçait à se donner un programme constitutionnel.  Ce sont ces deux lézardes qui hypothèquent aujourd'hui le Parti libéral de Jean Charest.

Le triomphe personnel de M. Bouchard lui laisse beaucoup de jeu.  Peut-être assez pour un troisième mandat, peut-être trop pour le bien du projet péquiste.




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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