Québec, le 5 juin 2000
La publicité à l'assaut de l'école
Les parents s'inquiètent-ils de l'offensive que mène la publicité pour envahir l'école où vivent leurs enfants? Une bonne façon de le savoir était d'assister à la discussion que menaient sur ce thème des parents québécois. Je suis sorti de la discussion plutôt songeur. À croire que vivre dans une société qui baigne dans la publicité n'a pas encore fait
comprendre à tout le monde ce que veut et peut la publicité.
Un constat émerge de façon récurrente, que beaucoup utilisent pour
justifier la présence de la publicité à l'école. Il se résume ainsi : la publicité est partout et l'école qui accueille son déferlement ne fait
que préparer les enfants à la vie. Comme si le déferlement de la
violence ou de la pornographie devait conduire à les laisser envahir
aussi l'école. Comme si l'anglicisation massive des nouvelles
technologies de l'information dispensait l'école de sa tâche d'enraciner
les jeunes dans leur culture et dans un univers linguistique spécifique.
Comme si, en somme, l'école devait se modeler servilement sur les
nivellements sociaux et cesser d'éduquer à plus et à mieux.
Un autre sophisme a occupé lui aussi un large pan de la discussion : le
désengagement de l'État est tel qu'il faut se réjouir si la publicité
vient à la rescousse, car elle évite aux parents le poids de coûts
excessifs. Encore là, on passe allègrement d'un constat indiscutable et
navrant à une démission nocive et aussi navrante. L'État, c'est
indéniable, a manqué à l'école au cours des dernières années. Il l'a sous-financée d'imprudente façon. Il l'a privée des services parascolaires sans lesquels il n'est pas de véritable équité entre les enfants de familles nanties et les autres. L'État a bafoué avec désinvolture ses propres principes de gratuité scolaire en expédiant des factures de plus en plus lourdes en matière de frais périphériques à l'enseignement. Cela est patent et regrettable. Mais le constat ne peut
ni ne doit conduire à demander à la publicité ce que l'État coupe ou
rationne. Les parents choisissent, en effet, une voie savonneuse quand,
au lieu de mener une action politique pour rappeler l'État à ses
devoirs, ils se frottent les mains en voyant les dollars de la publicité
voler au secours de l'école.
La discussion achevait d'étonner et d'inquiéter quand elle permettait à
des jeunes et à des parents de minimiser l'influence de la publicité.
« Nous, disait un porte-parole de la jeune génération, on ne les
remarque même plus les slogans publicitaires. Ils ne nous influencent
pas... » Et tel et tel parents de s'incliner respectueusement devant ce
splendide blindage que posséderait en exclusivité la jeune génération.
Comme si l'omniprésence de la publicité était garante de son
inefficacité. Comme si les publicitaires étaient gens à ne pas vérifier
le rendement de leurs investissements. Comme si la nature humaine avait
bénéficié récemment de profondes améliorations et et s'était enfin immunisée contre les assauts du rêve stipendié.
On constatait au passage, avec la crainte qui convient, que le temps a
vite fait de jouer en faveur de la publicité. Si, par exemple, l'État
revenait à un financement plus décent de l'école, il n'est pas dit que
l'école renoncerait pour autant aux contributions publicitaires.
L'habitude, en effet, est vite prise de laisser le publicitaire verser
des dollars supplémentaires. Pourquoi s'en priver? Pourquoi ne pas en
profiter pour ajouter aux services financés par les pouvoirs publics?
Après tout, on n'aura jamais trop d'argent pour l'éducation...
Pour que ces divers sophismes perdent leur force de séduction, il
faudrait revenir à une conception plus réfléchie de ce qu'est
l'éducation et de ce qu'est l'école. L'éducation a comme objectif de rendre libre à jamais; la publicité, subtile ou pas, agressante ou non,
aura toujours comme finalité d'imposer ses choix et donc de limiter la
liberté. Une école censément vouée à l'apprentissage de la liberté et de l'autonomie se tire dans le pied quand elle accueille sous son toit des
forces qui affectionnent l'embrigadement et la consommation plus que
l'indépendance et l'esprit critique.
La publicité est partout? Je le sais. J'en déduis deux choses. La
première, c'est que l'école doit, au Québec comme ailleurs, faire
comprendre aux jeunes la logique et les mécanismes de la publicité. Il y
va de la liberté de pensée des futurs adultes. La seconde, c'est que
l'école doit être, dans toute la mesure du possible, une zone d'accalmie
publicitaire. L'école doit permettre au jeune de faire l'expérience,
forcément éphémère, mais essentielle, d'un dialogue entre ses aspirations et la culture, dialogue dont doivent être exclus les promoteurs, les
vendeurs, les intercepteurs de tout poil. À la sortie de l'école, la
publicité, n'en doutons surtout pas, aura vite fait de recouvrer ses
droits et même d'en abuser.
© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000 |