Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 31 juillet 2000
Jean Charest, cet inconnu

Le chef du parti libéral du Québec, Jean Charest, se lance dans une tournée de deux mois à travers les régions.  Il entend remédier de cette manière à ce qu'il considère comme son handicap majeur : on ne le connaît pas.  Ce diagnostic loufoque fournit, comme s'il en était besoin, la preuve que Jean Charest ne dépassera jamais sa stature politique actuelle.  La victoire pourra lui sourire, mais il n'aura jamais la clarté et la justesse de pensée exigibles d'un chef d'État.  Et cela ne se corrige pas en circulant plus vite.

Jean Charest est connu.  Il a été suffisamment dorloté comme ministre dans l'ancien gouvernement Mulroney pour que tous connaissent sa frimousse.  À titre de ministre fédéral responsable des sports, il s'est fait beaucoup voir et il a gaffé de façon assez notoire pour devoir démissionner.  Successeur de Lucien Bouchard au poste de ministre responsable de l'environnement, il a engrangé la visibilité du sommet de Rio et multiplié les promesses spectaculaires.  Le Canada prenait des engagements dont on attend toujours la réalisation, mais dont on connaît fort bien l'auteur.  Quand vint le face à face électoral entre le gouvernement Mulroney et le Bloc québécois mis sur pied par Lucien Bouchard, Jean Charest s'estimait suffisamment connu pour supplier qu'on lui laisse le plaisir d'écraser l'adversaire souverainiste.  Jean Charest n'a pas non plus manqué de caméras pour mener sa campagne jusqu'à la direction du parti conservateur.  Si Jean Charest n'est pas connu, concluons que Céline Dion, Gilles Villeneuve et Tiger Woods ne sont pas, eux non plus, sortis encore de l'anonymat.

La vérité, c'est que Jean Charest est connu.  Jean Charest est d'ailleurs devenu ce qu'il est aujourd'hui, chef du parti libéral québécois, précisément parce que les financiers et les industriels qui se nourrissent du fédéralisme et s'en font les gestionnaires l'ont jugé seul capable de ramener le Québec dans le giron canadien.  Alors qu'il était toujours en politique fédérale, des sondages commandités par ces éminences grises ont fait systématiquement participer Jean Charest aux concours de popularité.  On ne demandait plus aux Québécois s'ils préféraient Lucien Bouchard à Daniel Johnson ou à Mario Dumont, ce qui aurait été logique, honnête et suffisant.  On rendait la question assez accueillante pour que le nom de Jean Charest, qui n'était pas en lice dans l'arène québécoise, soit opposé à ceux des chefs de partis québécois.  Les résultats furent jugés satisfaisants par le cercle des « faiseurs de rois » : Jean Charest était si connu et son image si séduisante qu'il fallait, d'urgence et artificiellement, le substituer au terne Daniel Johnson, lui permettre de vaincre le Parti québécois et en faire le premier ministre du Québec.  Si Jean Charest n'est pas connu du public québécois, bien des sondages et des vérifications ont été vains et trompeurs.

En réalité, Jean Charest est connu.  Il est même si bien connu que le public québécois le sait superficiel, vide, erratique.  Jamais il n'est parvenu à doter son parti d'un programme constitutionnel à peu près clair.  Jamais il n'a dit autre chose que des sottises au sujet des universités québécoises, des façons de traiter les jeunes contrevenants ou des comportements d'Hydro Québec.  L'homme est connu pour ne pas avoir d'ancrage idéologique, pour n'avoir même pas construit une critique réfléchie des dérapages du régime péquiste, pour n'avoir pas su réorganiser le parti libéral.  Jean Charest est également connu pour ne pas avoir vraiment effectué la transition de sa base électorale de Sherbrooke et du parti conservateur jusqu'au coeur du parti libéral.  Or, le parti libéral, qui est prêt à donner une chance à une étoile filante si elle le guide jusqu'au pouvoir, n'a guère de patience pour les sauveurs qui ne sauvent rien.  Claude Ryan eut un instant les commandes du parti libéral, mais on les lui retira dès son premier échec.  Jean Charest s'est fait remettre le parti libéral sur un plateau, mais le parti attend toujours le renversement de conjoncture qu'on le croyait capable de provoquer.

Ne concluons pas pour autant que Jean Charest n'ait plus d'avenir.  Nos moeurs politiques font que les partis d'opposition renversent rarement le pouvoir, mais que les partis au pouvoir se renversent eux-mêmes.  Il se peut donc que le gouvernement Bouchard, qui a perdu le contact avec la population et le respect de l'opinion aguerrie, creuse lui-même sa tombe et que le parti de Jean Charest, porté par la loi de l'alternance, accède au pouvoir.  Il se peut.  Mais cela requiert du temps et cela oblige à attendre les erreurs de l'adversaire.  Ceux qui ont intronisé Jean Charest n'aiment pas attendre et ils le lui ont fait savoir.  D'où la tournée.

Le problème, c'est que Jean Charest n'a pas à se faire connaître ; il a à changer ce qu'on connaît de lui.  Pas facile.




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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