Dixit Laurent Laplante
Barre de navigation
Québec, le 11 septembre 2000
La langue, encore la langue

Une saison complète sans débat linguistique serait considérée comme une rarissime anomalie au Québec.  En entrant sur ce terrain avec leurs gros sabots, les jeunes libéraux du Québec ont donc respecté la tradition.  En organisant pour l'automne un sommet consacré au français, le gouvernement Bouchard agit lui aussi selon les normes.  Et l'on aura peut-être, pour occuper les improbables temps morts de l'inquiétude linguistique, le rapport du bizarre comité Larose.  Tout cela au lieu de faire porter la réflexion sur un thème qui englobe et donne sens à la question linguistique : celui de la culture.

Reprenons.  Les jeunes libéraux veulent qu'on enseigne l'anglais aux enfants francophones dès leur arrivée à l'école.  À l'appui de cette thèse discutable et peut-être saugrenue, ils n'offrent qu'une macédoine de témoignages personnels et de perceptions simplistes de la mondialisation.  Les suivre dans cette voie serait une sottise.  Ce n'est pas parce que l'enfant élevé par deux parents de langues différentes devient bilingue qu'on peut en déduire qu'un enfant apprend aisément - apprend vraiment - deux langues à la fois.  Et ce n'est pas non plus parce que le commerce et les références universitaires limitent leur vision du monde à l'anglophonie qu'il faut bercer les poupons de toutes races sur des rythmes américains.

Ce qu'il faut, pour que notre enseignement de l'anglais langue seconde sorte du gaspillage qui le caractérise, c'est que les enfants francophones aient droit, eux aussi, à la seule et unique pédagogie efficace en matière linguistique : l'immersion.  Pas à la maternelle.  Pas pendant des années.  Mais de façon assez étanche et assez longue pour que, enfin, l'apprentissage de l'anglais donne les résultats attendus.  Cela est souhaité depuis des années par les enseignants en anglais langue seconde.  Cela, cependant, a toujours été considéré en milieu nationaliste comme comportant le risque de l'assimilation.  En raison de la frilosité politique, aucun ministre québécois de l'Éducation n'a osé offrir aux francophones l'efficace pédagogie permise aux enfants anglophones.  Comme si René Lévesque, Pierre Bourgault ou Jacques Parizeau avaient été anglicisés jusqu'à la moëlle par leur superbe maîtrise de l'anglais.  Avec une période d'immersion au temps opportun, les enfants auraient le temps d'apprendre d'abord leur propre langue et de se développer une organisation mentale dans laquelle l'anglais s'insérerait ensuite comme un outil indispensable et non comme la panacée.

J'ajoute que les jeunes libéraux feraient bien d'écouter la planète avec un peu plus d'attention.  D'une part, l'anglais vraiment indispensable a peu à voir avec la langue anglaise.  Il s'agit d'un code utilitaire de deux cents mots.  D'autre part, il y a, à côté de l'anglais, d'autres langues à apprendre.  Ce n'est pas en renforçant seulement ce qui nous lie aux Américains que nous nous différencierons d'eux et que nous nous découvrirons des affinités avec d'autres mondes, l'espagnol et l'allemand par exemple.

Cela devrait nous conduire enfin à une réflexion non plus strictement linguistique, mais culturelle.  Nous avons toujours, bien à tort, fait l'économie de ce débat.  Autant on cherche à définir ce qui serait un modèle proprement québécois en affaires, une sorte de Québec inc., autant on traite la langue française comme si, à elle seule, elle résumait notre spécificité culturelle.  Nous nous rassurons si telle série télévisée nous est offerte en français et nous n'en demandons pas davantage.  Pourtant, quand la série est produite aux États-Unis et traduite en France, elle nous colonise doublement.  Nous protestons avec véhémence si un quelconque Zeller's distribue des circulaires en langue anglaise, mais nous nous précipitons vers tous les produits culturels américains dès l'instant où on en a créé une version française.  En monopolisant l'attention, la langue nous masque nos fragilités culturelles.

Même la langue souffre de ce désintérêt pour la culture.  Pourvu que notre français diffère de l'américain, il lui est permis d'être débraillé, approximatif, populacier, évidemment interdit d'exportation.  Un souci culturel changerait cela.

Bien des Africains parlent le français mieux que nous, même s'il est pour eux une langue seconde, alors qu'il est notre langue maternelle.  Ces mêmes Africains se plaignent pourtant de ne pouvoir créer dans leur langue.  Ils regrettent de devoir se faire éditer à Paris pour être connus et lus chez eux.  Eux constatent et savent, contrairement à nous, que la maîtrise d'une langue internationale, qui est assurément un atout, constitue par ailleurs un défi pour les cultures nationales.  De notre côté, nous multiplions les psychodrames au sujet de la langue en ignorant comme à plaisir nos carences culturelles.  Nous brandissons l'étendard linguistique tout en massacrant dans nos conversations et nos médias la langue que nous prétendons défendre.  Comme disait, je pense, Gilles Vigneault, nous ne parlons pas un français châtié, mais un français battu. Faute de savoir qu'une culture ne se résume ni à la langue seule ni aux décoctions rentables des industries dites culturelles.



États généraux sur la situation et l'avenir de la langue française au Québec
Le PLQ et la langue

Haut de la page
Barre de navigation


© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
Dixit À propos de... Abonnement Archives Écrire à Dixit