Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 14 septembre 2000
Le curieux cheminement d'une entente

Comme pour humilier tous les analystes, dont moi, qui prédisaient l'effritement du consensus interprovincial, voilà que le gouvernement central et les provinces canadiennes s'entendent en quelques heures sur une bonification du financement de la santé.  La nouvelle, aussi heureuse qu'étonnante, doit quand même être reçue avec la prudence que méritent les ententes équivoques.

Notons d'abord le décalage entre les rumeurs orchestrées depuis quelque temps par les deux paliers de gouvernement et le résultat atteint.  Tant du côté fédéral que dans le camp québécois, les récentes déclarations se sont attachées, en effet, aux alliances entre les provinces et aux convergences que chacun pouvait lancer dans l'affrontement décisif.  Québec se disait conforté par le consensus interprovincial, tandis qu'Ottawa ridiculisait cette étrange province qui prétend avoir le pas quand les douze autres gouvernements en jugent autrement.

Comme l'histoire politique enseigne que jamais les consensus interprovinciaux ne résistent aux séductions et aux trocs du pouvoir central, il était facile de prévoir que cette improbable convergence ne se produirait pas et tentant de prédire un nouvel isolement du Québec.  Preuve que la notion de consensus interprovincial appartient au même monde que la pierre philosophale, la rencontre n'avait pas encore commencé que trois provinces au moins s'étaient éloignées de leurs consoeurs.  Le paradoxe, c'est que ce prévisible effritement d'un consensus inexistant n'a eu aucune conséquence.  Une entente est survenue, il n'y eut aucune collision entre le gouvernement fédéral et un front commun de quelques provinces ou de toutes, et le Québec, pour une fois, a apposé sa signature au bas de l'entente.  En somme, un résultat qui ne correspond en rien à ce qu'on pouvait prévoir.  Disons même ceci : un résultat autre que celui qu'on tenait à nous faire prévoir.

On se moquerait de ce décalage entre la prévision et le résultat si l'entente intervenue entre les deux paliers de gouvernement ne recelait pas autant d'équivoques et si les positions finales ne contredisaient pas aussi sourdement les propos antérieurs.  Le gouvernement central exigeait un rôle accrû dans la gestion de la santé, mais il signe un texte qui ne le lui accorde pas.  Le Québec refusait de rendre des comptes au gouvernement central, mais il utilisera désormais, dans l'évaluation de son système de santé, des critères définis d'un commun accord par les provinces et Ottawa.  Comble de l'ambiguïté, chacun des gouvernements s'écarte de ses déclarations antérieures, mais tous précisent que l'entente ne change rien aux responsabilités constitutionnelles des partenaires.  Quand on sait que le rapatriement de la constitution n'a pas réduit, mais amplifié, les désaccords entre les gouvernements, et accrû le rôle de la Cour suprême, il faut redouter que cette nouvelle entente débouche à son tour sur des débats marécageux.  On a signé, mais on a pris soin, des deux côtés de la barricade, de préserver le flou politique.

Il est un autre problème grave auquel l'entente ne s'attaque que de façon indirecte : celui des façons d'investir les milliards récupérés.  Revigorer et moderniser le système de santé, ce n'est pas seulement ni surtout une question de financement; c'est une question de philosophie sociale et de priorités démocratiquement établies.  Ce n'est donc pas en injectant des milliards là où on les versait autrefois qu'on transformera le système autant qu'il doit l'être.  Si la nouvelle valse des milliards ne bénéficie qu'aux professionnels de la santé et aux établissements traditionnels, on aura tôt fait de retomber dans les mêmes ornières.  Les coûts reprendront leur ascension.  La pathologie continuera à l'emporter sur la prévention.  Les équipements lourds accapareront de nouveau les budgets au détriment des programmes de santé communautaire.  Les régions seront de nouveau privées de services.  Et la privatisation accroîtra sa force de séduction.

Je ne suis pas en train de convertir une bonne nouvelle en catastrophe.  Je souhaite simplement que l'euphorie ne nous dispense pas du devoir de vigilance.  Les stratèges politiques n'ont signé l'entente qu'avec l'avoir truffée d'échappatoires.  Les indicateurs sur lesquels on promet de s'entendre risquent fort de ressembler à ceux qui font du Canada le plus beau pays du monde et qui ne disent rien de la réalité.  Les milliards remis en circulation ne changeront la donne que s'ils remettent à la société le contrôle de la santé au lieu de le maintenir entre les mains des seuls professionnels.

Une entente de cette nature n'est qu'un point de départ.



Communiqué sur la santé pour la rénion des premiers ministres

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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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