Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 28 septembre 2000

Pétrole, G-7 et camionnage


Prague aura reçu ces jours derniers des personnalités et des organismes en mesure de rapprocher la planète de la paix, de l'équité et de la démocratie : le G-7, le FMI, la Banque mondiale.  Pourtant, au lieu d'analyser correctement la situation et de se reconnaître responsables du fouillis, ces gouvernants, banquiers et investisseurs du plus haut niveau ont préféré jouer les victimes et demander des avantages encore supérieurs à ceux dont ils sont déjà gavés.  On s'est même permis, comble de cynisme, de répéter la promesse jamais tenue d'alléger la dette des pays pauvres.

Ces gens ont tout fait, par exemple, pour renforcer les confusions qui circulaient déjà à propos du pétrole.  Contrairement à l'opinion que s'efforcent d'accréditer les pays riches, l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) ne détermine pas à elle seule, loin de là, les cours mondiaux du pétrole.  L'OPEP, dont les membres sont plus souvent des pays miséreux que des émirats richissimes, ne fournit même pas 40 % du pétrole.  Le reste, dont on ne parle jamais, provient des pays riches et des grandes pétrolières qui y prospèrent.  Parmi ces pays richement dotés en ressources énergétiques et plus encore en grands conglomérats pétroliers, on compte plusieurs des pays du G-7, dont les États-Unis, la France et, dès qu'il en est capable, notre beau Canada.  Cela, les congressistes praguois ne l'ont pas dit.  Ils n'ont pas dit non plus qu'ils pourraient, courage aidant, discipliner un peu les pétrolières.

Ils n'ont rien dit non plus des atouts que représente un pétrole à bon marché pour les pays riches que nous sommes.  Un pétrole à bon marché, c'est pour l'hémisphère nord une source de prospérité économique et industrielle.  Quand le pétrole se transigeait à huit ou dix dollars il y a quelques courtes années, les plus pauvres des pays exportateurs de pétrole devenaient plus pauvres et les pays du Nord s'enrichissaient honteusement, mais le G-7 ne voyait là aucune anomalie.  Les pays du G-7 ont même profité de cette période d'appauvrissement des pauvres pour greffer sur le prix du pétrole une fiscalité d'une voracité sans exemple.  Puisque le baril se vendait dix dollars, les États riches et gourmands pouvaient percevoir en taxes diverses deux ou trois fois le prix du baril sans provoquer la révolution.  Les membres du G-7 ont joué ce jeu et nos gouvernements québécois et canadien y ont pris goût eux aussi.  Les consommateurs ont emboîté le pas en achetant des 4X4 gloutons et en augmentant leur vitesse de 20 kilomètres à l'heure et leur consommation d'essence de 25 %.  Aujourd'hui que le coût du pétrole augmente, le G-7 demande, en vertu d'un raisonnement amnésique et sélectif, le meilleur de deux mondes : à la fois une baisse dans les cours du pétrole et le maintien des taxes décrétées au temps des prix affaissés.  Comme malhonnêteté intellectuelle, on ne peut faire pire.

Cela, dira-t-on, n'explique pas pourquoi, dans la protestation contre les coûts pétroliers du transport, le camionnage occupe une si grande place.  Osons une hypothèse.  Au cours des récentes années, les gourous de la gestion dite rationnelle ont enseigné aux entreprises à accroître leurs bénéfices en transférant sur d'autres épaules certaines de leurs responsabilités.  Pourquoi, ont-ils dit aux entreprises, construire des entrepôts quand l'informatique permet la livraison des marchandises à la toute dernière minute (le fameux Just In Time )?  Débarrassez-vous de ces bâtisses coûteuses et inutiles! Pourquoi, ont demandé les mêmes spécialistes dotés de cerveaux aussi pénétrants et limités qu'un laser, investir du bon capital dans des activités que de dociles PME peuvent assumer gratuitement à votre place?  Exigez d'elles qu'elles le fassent à votre place.  Dites à vos petits fournisseurs d'aller se chercher une certification ISO (Organisation internationale de normalisation), faute de quoi vous n'achèterez plus rien d'eux.  Vous aurez ainsi un réseau de satellites sans geler le moindre capital.  Aux petits fournisseurs de livrer à la dernière minute, à vous d'accroître vos dividendes en esquivant l'entreposage.  À eux de recruter les camionneurs et autres intermédiaires, à vous de multiplier les fusions qui rendront les PME encore plus dépendantes.

Aux yeux de ceux dont le regard laser ne mesure que le profit sectoriel et immédiat, les spécialistes avaient raison.  Leurs techniques ont gonflé les profits des conglomérats.  Elles ont cependant fragilisé les réseaux d'approvisionnement.  Les marchés d'alimentation et les stations service sont à sec dès qu'un blocus routier dure 48 heures.  Coïncés entre la hausse des prix et la piètre santé économique de leurs petits et moyens employeurs, les camionneurs réagissent en affamant la population.  Et les gouvernements craquent sous la pression.  Survient alors une aggravation des injustices sociales : ceux qui se sont délestés de leurs responsabilités et qui ont abusé de leur poids économique brandissent des bilans financiers agréablement embellis, tandis que la population paie à même ses impôts les services que les entreprises prenaient autrefois à leur charge.  Et les prises d'otages deviennent la règle.

Crise de l'énergie?  Non, mais crise du transport.  Crise du transport causée par les transporteurs?  Non, crise de la livraison causée par la voracité des conglomérats qui esquivent les coûts de l'entreposage et de la capitalisation dans des filiales.

Il est clair que cette mondialisation sauvage touche et touchera le tiers monde plus durement encore que l'hémisphère nord.  Les pays pauvres, y compris certains des pays exportateurs de pétrole, s'appauvriront si, par malheur, le G-7 réussit une fois encore à mettre l'hémisphère sud à genoux.  On comprend donc pourquoi le ministre canadien des Finances, M. Paul Martin, se sent obligé d'esquisser un geste de compassion à l'intention des pays pauvres.  Il faudrait, dit-il, un moratoire sur la dette des plus pauvres d'entre eux.  Ne voyons pourtant pas là la moindre générosité ni le moindre engagement.  Des promesses analogues ont été faites dix fois déjà, mais jamais tenues.  M. Martin, il est vrai, a liquidé le déficit canadien en vidant les poches des chômeurs; pourquoi ne promettrait-il pas un milliard au tiers monde en échange des milliards de profits que susciterait un pétrole à bon marché?




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999, 2000
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