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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 2 novembre 2000

Les tristes coulisses de l'exploit

À moins de ne s'intéresser qu'aux ostentatoires gonflements des records et à un relevé ethnocentrique des médailles olympiques, on ne peut guère se réjouir de ce qu'accomplit sous nos yeux le glorieux monde du sport. Il n'est pas souhaitable, d'autre part, de se dissocier trop vite du problème. Ce n'est pas vrai que le sport ne concerne que la partie de l'humanité qui aborde les journaux par les dernières pages. Ce qui concerne le sport nous concerne tous et doit, dans les circonstances, nous inquiéter tous.

Quand, par exemple, Donald Guay publie L'histoire du hockey au Québec, son sous-titre précise la portée exacte du projet : Origine et développement d'un phénomène culturel. La plupart des autres ouvrages de Guay attireront eux aussi l'attention sur la relation entre le sport, tel qu'il naît et se développe au Québec, et le champ culturel dans toute son ampleur. Ainsi, on retrouvera dans la collection Études québécoises son Introduction à l'histoire des sports au Québec et Lanctôt Éditeur aura, pour présenter La Conquête du sport un sous-titre qui, lui aussi, inlassablement, intègre l'analyse au domaine culturel, Le sport et la société québécoise au XIXè siècle.

Marotte d'historien spécialisé? Pas du tout. On trouvera, au contraire, dans le sérieux rapport Parent, auquel ont référé depuis trente-cinq ans nos diverses générations d'éducateurs, exactement le même souci et la même perspective : le sport en dit long sur la culture d'un peuple et nulle éducation n'est complète, pas plus la nôtre que celle des contemporains de Platon ou d'Aristote, si le sport ne fait pas partie des apprentissages fondamentaux.

Si l'on admet cela, il faut s'inquiéter de la contamination que le sport d'aujourd'hui introduit dans notre vie culturelle et sociale. Quand un héros sportif affole sa famille au point que la police doive intervenir en catastrophe, il est inquiétant, non pas seulement qu'un athlète professionnel contrôle aussi mal ses nerfs, mais que la confrérie des chroniqueurs sportifs affirme que « cela ne regarde que l'athlète et sa femme ». Quand un matamore comme Marty McSorley est jugé coupable de violence extrême, il est inquiétant que de nombreux athlètes et d'aussi nombreux commentateurs sportifs blâment non pas celui qui a failli décapiter son adversaire, mais le tribunal qui, selon eux, se mêle d'une affaire qui ne le regarde pas. Quand un pourcentage important des enfants se tient à l'écart du hockey, pour cause de trop grande violence, il faut s'inquiéter. Quand les parents eux-mêmes incitent leurs rejetons à se montrer plus durs et leur donnent l'exemple en agressant les arbitres, il faut s'inquiéter. Pratiqué de façon aussi dangereuse et analysé à l'aune de la pire démagogie, le sport tire la culture vers le bas.

Le dopage, quantitativement sous-évalué et qualitativement presque autorisé, contribue puissamment à transformer le spectacle sportif en activité mensongère. Le tant célébré Tour de France n'en finit plus d'amonceler vainement les constatations déprimantes et les aveux larmoyants. Oui, dit l'un, je me suis dopé parce que je ne pouvais pas être au top sans cela. Oui, dit l'autre, je me suis dopé, parce que je ne voulais pas être isolé au sein de l'équipe. Et puis après? Et puis après, on recommence, exactement comme le ferait le commerçant cent fois trouvé coupable de fausses représentations : il vend encore ses produits frelatés et trouve toujours preneur.

Bien sûr, les ergoteurs à la solde des équipes sportives sont entrés dans la danse pour affirmer que la prudence est une grande vertu et qu'il ne faut pas condamner sans preuves. Ils insistent pour jouer les vierges offensées et soulignent, fiers d'eux-mêmes, qu'au stade actuel de la recherche, la détection directe de certains produits dopants est impossible. À cela, une étude menée par le Comité national olympique italien (CONI) répond que la détection indirecte permet aujourd'hui plus que des présomptions. L'étude a porté sur 538 sélectionnés olympiques d'Italie et a retrouvé chez 61 d'entre eux (un sur neuf ) une anomalie que la science ne détecte, dans la population, que chez trois personnes sur un million! Bien sûr, l'équipe médicale n'a pas observé les séances de dopage et elle n'a pas en main les flacons qui ont provoqué de tels résultats. Toute personne un peu sérieuse admettra quand même que des conclusions s'imposent.

Je ferme la boucle. Le sport, comme la langue, les arts, les moeurs politiques, fait partie de la culture. À ce titre, il mérite l'intérêt de tous, surtout quand nos médias lui consacrent autant d'attention et surtout quand il répand aussi efficacement l'illusion, la tricherie, la violence.

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© Laurent Laplante et les Éditions Cybérie