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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 16 novembre 2000

Quelques malentendus sur la démocratie

Beau mot que celui de démocratie. Belle utopie aussi que celle qui, censément, fait honneur à notre modernité. À condition, pourtant, que l'on mette d'urgence la démocratie à l'abri des gens qui tirent de cette notion de quoi renforcer leurs privilèges et de quoi anémier les droits des autres. Or, ces gens sont nombreux. Peut-être pullulent-ils particulièrement par temps de scrutin, de négociations et de fusions forcées.

Commençons par d'augustes ministres fédéraux, tels MM. Coderre et Pettigrew. Le premier, on le sait, pontifie à la tête des services fédéraux qui visent à multiplier les médailles olympiques canadiennes, qui font semblant d'offrir aux athlètes francophones les mêmes chances de développement qu'aux athlètes de l'autre Canada et qui, de toutes manières, survolent allègrement les réalités du dopage et autres tricheries. Sa conception de la démocratie est aussi séduisante que celle du noble, sexiste et élitiste Coubertin.

Le second des ministres qui méritent d'être sondés pour leurs propos sur la démocratie, c'est M. Pettigrew, un ministre tour à tour volubile quant il s'agit d'ergoter à l'étranger sur les vertus de la mondialisation et terriblement taciturne quand on prétend examiner ce qu'il a fait au ministère des Ressources humaines avant que le scandale du favoritisme et du gaspillage de ce ministère n'explose à la face de sa remplaçante. On aura compris qu'à eux deux ces ministres incarnent la quintessence de la gestion rationnelle, moderne, scientifique. Avec eux, on est évidemment à cent lieues du patronage pratiqué par l'Union nationale de Mauricre Duplessis et qui répartissait le budget de l'asphaltage selon les allégeances.

Qu'on se détrompe : MM. Coderre et Pettigrew ne sont pas encore au courant du fait que tous, fédéralistes ou souverainistes, libéraux ou alliancistes, ont les mêmes droits face aux programmes gouvernementaux. Ni l'un ni l'autre ne sait ou ne veut savoir qu'on retourne à l'âge de pierre si l'on transforme un programme universel en instrument de chantage contre les adversaires politiques. « Vous avez intérêt à voter du bon bord », affirment ces jeunes dinosaures, comme si cela ne constituait pas un triste aveu. Autour d'eux, d'autres ministres censément modernes, depuis Gilbert Normand jusqu'à Paul Martin, laissent entendre, eux aussi, qu'un député libéral a plus de chances de faire fonctionner les programmes gouvernementaux qu'un député bloquiste. On croit vivre un cauchemar quand la démocratie subit un tel avilissement aux mains d'hommes politiques nés en ce siècle.

La démocratie vit une incompréhension comparable, bien que plus subtile, quand elle tombe entre les mains des camionneurs courtisés par la CSN ou des mairies menacées par les fusions forcées. Qu'ils soient sophistes ou simplement ignorants, les dirigeants de la CSN bafouent la vérité et versent dans la plus honteuse démagogie quand ils dénoncent comme un mépris de la démocratie le fait que le gouvernement du pays fasse passer ses priorités avant celles d'un millier d'individus. Ceux qui ignorent et foulent aux pieds la démocratie, ce sont ceux qui prétendent faire passer les intérêts d'un groupe avant ceux de la collectivité. Un critère élémentaire devrait pourtant leur venir à l'esprit : les camionneurs ont été appelés à voter lors de l'élection des députés, mais le public n'a rien eu à dire dans le choix des représentants syndicaux. Dès lors, qui, du syndicat ou du gouvernement, parle le plus légitimement au nom de l'intérêt public? Il faut un certain culot pour prétendre que les gens élus par un club incarnent mieux le vouloir démocratique que ceux qui ont le mandat le plus large. Parler de loi-matraque quand on pratique la prise d'otages, cela n'emporte pas la conviction.

Il en va de même dans les mairies. Je n'ai, on l'aura compris par d'autres textes, aucune sympathie pour les fusions forcées. J'ignore encore pourquoi le gouvernement y tient autant et je ne vois toujours pas quels avantages économiques ou sociaux il faudrait en espérer. Cela dit, il n'y a pas entorse à la démocratie quand le gouvernement qui a créé les municipalités et qui détient toujours le droit de les effacer ou de les maintenir procède à des regroupements. Ce n'est peut-être pas intelligent ni justifié, mais cela n'est pas contraire à la démocratie. Quand la banlieue de Toronto a invoqué l'argument devant les tribunaux, il a suffi de quelques jours pour que le pouvoir judiciaire lui rappelle qui l'avait portée sur les fonds baptismaux.

Appelons les choses par leur nom : quand des municipalités riches invoquent la démocratie pour affirmer leur droit à ne pas assumer leur part du fardeau social, elles sont aussi démocratiques que les Blancs de la Rhodésie ou de l'Afrique du Sud refusant de se soumettre aux volontés de l'ensemble de la population. Il y eut progrès de la démocratie et non pas l'inverse quand Nelson Mandela obtint que le vote majoritairement noir l'emporte sur le vote des enclaves riches et blanches en terre africaine. Disons-le donc tristement : Johannesbourg, Sillery, Sainte-Foy, même sophisme et même combat. Je n'aime pas le concept de fusion forcée, mais j'aime encore moins que l'argument démocratique serve d'alibi à autre chose. Je ne suis pas du tout convaincu que le gouvernement Bouchard agisse sagement en fusionnant des municipalités contre leur gré. Mais je suis encore moins certain que la véritable démocratie soit la cause que défendent les banlieues récalcitrantes.

La démocratie est une utopie trop fragile pour qu'on laisse n'importe quelle démagogie l'attacher à son char.

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