Dixit Laurent Laplante, édition du 1er mars 2001

Divers prétextes à rumination
par Laurent Laplante

L'actualité sollicite présentement l'esprit en tant de directions que je ne parviens pas à privilégier un thème. Je m'en propose donc plusieurs à comparer aux vôtres.

Cohn-Bendit et ses remords
En publiant sur Internet des extraits du livre rédigé en 1975 par l'activiste Daniel Cohn-Bendit, Le Grand Bazar, Bettina Röhl montre à quoi s'exposent ceux qui comptent sur l'amnésie des autres pour faire oublier telle ou telle de leurs sincérités successives et mouvantes. Fille revancharde de Ulrike Meinhof, grand-prêtresse de la Fraction Armée Rouge (RAF), Bettina Röhl règle ses comptes avec la démagogie triomphante qui a empoisonné la génération de sa mère et privé de repères plusieurs de ses rejetons. Texte en main, elle accuse Cohn-Bendit d'avoir justifié allègrement sa pédophilie et d'avoir appliqué son « il est interdit d'interdire » jusque dans l'éducation sexuelle offerte en garderie. Cohn-Bendit proteste : il condamne la pédophilie et n'a écrit ces pages que pour épater le bourgeois.

Une première question se pose : à quel moment un menteur commence-t-il à dire la vérité et mérite-t-il d'être cru? Une deuxième s'ajoute, inspirée par le chroniqueur et essayiste Jean-Claude Guillebaud (Le Figaro, 23 février 2001)  et lancée à la génération des soixante-huitards : « On a eu le courage de se livrer à une autocritique sur ses engagements idéologiques, mais cela n'a pas été le cas sur la révolution sexuelle. Ce cadavre est toujours dans le placard. » Une troisième interrogation, qui vise quelques disparus, mais aussi des personnalités toujours à l'avant-scène, découle du manifeste signé à peu près à la même époque (1977) par une belle brochette d'intellectuels. On y protestait vertement contre l'emprisonnement d'hommes condamnés pour attentat à la pudeur sur des jeunes de 12 et 13 ans : « Trois ans de prison pour des caresses et des baisers, cela suffit ». On dénonçait au passage l'incohérence de la loi : « La loi française se contredit lorsqu'elle reconnaît une capacité de discernement à un mineur de 13 ou 14 ans qu'elle peut juger et condamner, alors qu'elle lui refuse cette capacité quand il s'agit de sa vie affective et sexuelle ». Le Figaro rappelle que signaient ce sophisme des gens comme Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Bernard Kouchner, Jack Lang, Françoise Dolto, Louis Aragon, Philippe Sollers… Étrange bouteille à la mer qu'un tel manifeste; étrange dépaysement quand le message resurgit trente ans plus tard. L'amnésie sélective est un mal répandu.

Les défenseurs de la « taxe sur la mort »
George W. Bush aime bien l'expression de « death tax » pour désigner l'impôt fédéral sur les successions. En la désignant par un terme répugnant, il travaille déjà à la discréditer, ce qui lui permettra, à terme, de l'abolir. Rien d'étonnant dans ce projet républicain. Selon la philosophie de Bush, l'État n'a pas sa place dans les affaires familiales et la réussite ne devrait pas être punie comme un crime.

La surprise vient du camp des protestataires. Ils sont 120 millionnaires et milliardaires à signer dans le New York Times un plaidoyer en faveur de cet impôt! Bill Gates, par l'intermédiaire de son père, est sans doute le plus connu du grand public, mais Warren Buffet et George Soros ne font pas davantage figure d'assistés sociaux. Quel motif invoquent ces nantis pour obtenir que l'État installe un poste de péage entre la fortune d'un défunt et ses héritiers? Tout simplement, la nécessité de la philanthropie. Si les héritiers n'ont rien à craindre du fisc, ils garderont tout pour eux et n'auront aucune raison de créer une fondation à but culturel ou social.

Toujours paranoïaque, j'ai peine à admirer sans réserve un tel comportement, mais j'en aime l'idée.

Des Turcs derrière les Kurdes?
Pendant que le millier de réfugiés kurdes déposés sur la côte française par un mystérieux navire apprennent remarquablement vite les rouages (et les trous) des politiques européennes, des rumeurs s'amplifient. Sans connaître (encore) le capitaine de ce navire, puisque l'équipage a disparu, on vante sa compétence. Il connaissait de toute évidence les heures où les vigies françaises s'éteignent, les plages où il était possible d'échouer le bateau sans dégâts, peut-être même le parcours des bâtiments chargés de la surveillance des côtes... D'autre part, il semblerait, à en croire certaines révélations échappées par des réfugiés, que deux navires turcs auraient « escorté » le navire jusqu'à la haute mer. Il n'en faut pas davantage pour que prenne forme l'hypothèse d'un complot turc pour embarrasser la France. Dans le style « Voyons voir si vous traiterez les Kurdes mieux que nous ». Chose certaine, la France, en affirmant en Assemblée nationale le génocide arménien, a gravement indisposé Ankara qui n'en finit plus d'inventer des mesures de représailles. Comme le cinéma ne manque pas de scénaristes tordus, on peut espérer un film à partir de cette hypothèse...

Loi relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 (format PDF)

Les déclarations de soupçons
Fait ou légende, le secret des banques suisses est, de l'avis populaire, à ranger parmi les plus durables inventions helvétiques aux côtés du coucou, de la montre et de la fondue. Banque suisse serait synonyme de discrétion, d'opacité, de coffrets numérotés et blindés, de loyauté indéfectible aux déposants et de myopie militante à l'égard de l'origine des fonds. De là à faire de la Suisse un havre sans pareil pour les fonds douteux et une escale obligée dans le blanchiment de l'argent sale, il n'y qu'un pas. À dire vrai, il n'y a même plus ce pas, puisqu'un rapport rédigé par des parlementaires français a accusé directement la Suisse de laxisme dans le surveillance de l'argent sale. La surveillance suisse, ont dit les signataires français, s'arrête au seuil des banques. Ils en avaient d'ailleurs dit autant à propos de Monaco.

En attendant que le vrai et le faux se départagent, un élément attire l'attention. La Principauté de Monaco possède depuis peu une loi qui oblige diverses catégories d'agents financiers et de professionnels à faire des « déclarations de soupçons » sous peine d'être poursuivis. Par professionnels, entendons comptables, bijoutiers, avocats, marchands d'arts... De même que la loi québécoise oblige un médecin à signaler les traces de sévices que porterait un enfant, la loi monégasque exige que le professionnel du droit ou de la comptabilité signale à la justice ce qui répand une odeur d'argent sale. Loi stérile? demande le journaliste français. Réponse monégasque : en 2000, 210 déclarations de soupçons, 157 demandes d'enquête, 12 enclenchements de poursuite.

Est-il permis de demander à nouveau - car je l'ai fait - pourquoi le Québec demande à Ottawa des changements au code criminel pour mieux lutter contre les gangs de motards, mais ne resserre pas sa propre loi sur les ordres professionnels?

URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20010301.html

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