Dixit Laurent Laplante, édition du 19 mars 2001

Mondialisation toujours infaillible?
par Laurent Laplante

Le dogmatisme propose peut-être des vérités bien instables, mais il a lui-même la vie dure. À croire que l'homme ne construit l'histoire que contraint par l'idéologie dominante. Si l'État-nation a la cote, l'univers se segmente le long de cette fracture. Si le nationalisme est ravalé au rang de crispation identitaire, il devient péché de respecter les racines culturelles ou politiques. Si la mondialisation prend, comme aujourd'hui, statut d'idéologie irréversible et bénéfique, il faut tout immoler sur son autel. La mondialisation n'a pourtant pas encore produit tous les fruits promis et elle ne les produira jamais par sa seule présence. Ni la paix, ni le souci écologique, ni la stabilité de l'économie, ni l'assainissement des pratiques politiques et financières ne sont, en effet, au rendez-vous qu'elle prétend fixer.

C'est, par exemple, avec une assurance béate que l'on a enterré jusqu'au souvenir d'octobre 1929. Qu'une bourse puisse, comme alors, s'écrouler en lançant des ondes de choc meurtrières et en causant un durable marasme, voilà qui, paraît-il, ne peut plus se produire tant notre époque se gouverne selon la rationalité, tant elle a multiplié les mécanismes de protection. Il n'y aurait donc pas de risques à constituer le monde financier en un unique réseau, à attacher ensemble les grandes places financières et à laisser les conglomérats investir et retirer à leur gré leurs capitaux effervescents. Mondialisation oblige.

À l'examen, il s'avère que la nature humaine n'a pas changé. Les appétits ont profité de la mondialisation pour exiger davantage. Le moindre ralentissement, réel ou appréhendé, mécontente les investisseurs qui, du jour au lendemain, applique le conseil donné il y a des siècles à un dénommé Clovis : « Brûle ce que tu as adoré et adore ce que tu as brûlé. » Nasdaq écope, tandis que la crise asiatique devient mondiale, que les difficultés japonaises deviennent des problèmes mondiaux, que l'endettement des pays pauvres devient une hypothèque mondiale. Devant l'autel de la mondialisation, les fidèles demeurent nombreux. Le dieu exige tribut et on le lui paie.

La mondialisation n'a pas non plus apporté la paix. L'ancienne Yougoslavie, pourtant soumise à d'incessantes analyses internationales, est encore à deux doigts de l'embrasement. La fragile Macédoine est le nouvel enjeu. Là aussi, après avoir juré que « jamais plus », on répète les erreurs. Parce qu'elle avait mauvaise conscience devant le nettoyage ethnique pratiqué par Milosevic, la communauté internationale s'est portée à la rescousse de l'UCK, l'armée de libération albanaise. En la soutenant, elle a embauché des samouraïs dont elle ne sait plus se débarrasser. Washington, toujours en retard ou en avance d'une guerre, concentre encore ses tirs économiques contre le même Milosevic. Belgrade a jusqu'au 31 mars pour livrer Milosevic à la justice, sous peine de ne pas recevoir les 100 millions de dollars promis par Washington comme prix du sang. Et l'armée yougoslave, qu'on voulait anéantir il y a si peu d'années, est aujourdhui invitée par l'OTAN à frapper l'UCK que la même OTAN équipait hier contre l'armée yougoslave. On rapetisse la planète, mais on ne la comprend pas mieux. Mondialisation et myopie ne sont pas incompatibles.

On pourrait déduire la même vérité de l'Afghanistan. Les taliban sont forts parce que une certaine conception de la paix mondiale a conduit l'Occident à rendre les taliban capables de résister à l'armée russe. Ben Laden consacre à terroriser l'Occident l'argent que l'Occident lui a versé.

Si mondialisation il y a, c'est donc dans la généralisation de l'imprudence et du calcul grossier qu'il faut la chercher. La militarisation à l'échelle mondiale a marqué un temps d'arrêt lors de l'effondrement du Mur de Berlin; elle achèvera de reprendre le temps perdu lorsque la recherche aura servilement inventé le bouclier antimissiles. Mondialisation? Oui, mais imprévoyante.

Et le souci de l'environnement? N'est-il pas, lui au moins, un heureux résultat de la mondialisation? Ce n'est pas assuré. L'administration Bush n'a eu besoin que de 60 jours pour renier les engagements contractés pendant la campagne électorale et pour soustraire les pollueurs américains aux contrôles minimaux. Maints autres pays industrialisés, dont le Canada, s'éloignent cyniquement des promesses de Rio et ne voient rien d'outrageant à offrir la plantation d'arbres dans le tiers monde en échange du droit (?) des riches de continuer à polluer. Dans ce domaine, la mondialisation, c'est vrai, a multiplié les espoirs et conduit à la création de partis politiques et d'ONG voués à la protection de l'environnement. Mais la mondialisation a exacerbé la productivité, élevé le niveau des nuisances et cristallisé la résistance des pollueurs. Aux États-Unis comme en France, dans l'administration Bush comme dans le gouvernement Jospin, les Verts n'accèdent au cercle du pouvoir et n'y survivent qu'à condition d'oublier tout ou partie de leurs principes et de se taire. Mondialisation? Oui, en forme de nivellement par le bas et de déresponsabilisation.

La mondialisation réussit-elle au moins à imposer à l'ensemble mondial des gestionnaires privés et publics les règles universelles de la transparence et de l'éthique? On ne peut même pas poser la question sérieusement tant les « affaires » nauséabondes bourgeonnent sous tous les climats, de l'Indonésie au Japon, de la France d'Elf-Aquitaine à l'agiotage mexicain.

Faudrait-il donc oublier la planète et reprendre, chacun chez soi, une satisfaisante contemplation du nombril? Ce serait dommage, en plus d'être impossible. La nature humaine, inchangée quand elle passe de la scène locale au théâtre mondial, garderait ses caractéristiques si elle effectuait le trajet inverse. La sagesse consisterait plutôt à cesser le culte des dogmes, des recettes et des certitudes. Le changement, tant qu'il dépendra des humains, sera lourd des possibles les plus écrasants ou porteur aussi de tous les espoirs. La mondialisation, souhaitable quand elle répand l'équité et meutrière quand elle active le rouleau compresseur, ne garantit rien. Elle sera ce qu'on en aura fait. Elle ne devrait pas dispenser de l'évaluation, mais se ranger modestement parmi les outils disponibles et qu'on n'utilisera qu'à bon escient. Tout comme le « small is beautiful » était et demeure un choix possible, mais sans pouvoir magique. Présentement, la mondialisation prétend au statut de dogme. Elle n'est pourtant, dans presque toutes ses applications, qu'un déguisement qui permet au capitalisme et à l'impérialisme de s'avancer masqués.

URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20010319.html

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