Dixit Laurent Laplante, édition du 5 avril 2001

Ces meurtres qui nous font mal
par Laurent Laplante

À deux reprises déjà, dans le cadre de ces petits billets, j'ai abordé le sujet délicat de l'euthanasie et du suicide assisté. Dans les deux cas, le courrier m'a apporté des commentaires dont certains reproches. Je ne m'en surprends pas. D'abord, je n'ai pas la prétention d'avoir été clair. Ensuite, le domaine moral est de ceux, comme l'a montré Bourdieu, où chacun professe une opinion tranchée qui se fonde sur une expérience personnelle souvent incommunicable. Je reviens pourtant sur le sujet en espérant non pas tout clarifier, mais faire mieux. L'accusation portée contre Rachel Craig pour le meurtre de sa fille handicapée rend la réflexion nécessaire.

Dans mon premier texte, j'avais essayé de distinguer l'euthanasie du suicide assisté. À mes yeux, l'euthanasie, ses racines grecques le disent, est ce que notre époque appelle le meurtre par compassion, le meurtre qui vise à mettre fin aux souffrances d'une autre personne. La méchanceté, la vénalité, la haine n'ont aucun rôle dans ces meurtres. Ce sont quand même des meurtres, car la mort est décidée sans l'assentiment de la personne souffrante. Je concluais qu'aucun meurtre n'est tolérable, quel que soit le motif qui le provoque.

Un lecteur m'avait alors reproché de ne pas faire exception pour les cas d'Alzheimer. À partir de son contact personnel avec la maladie, il m'avait expliqué que la maladie dégrade si horriblement la vie humaine que l'euthanasie pourrait se justifier. Je continue pourtant à n'accepter aucun meurtre. Pas plus dans le cas de Robert Latimer que dans toute autre situation comparable.

Le suicide assisté, c'est autre chose. Dans ce cas, c'est la personne souffrante qui prend la décision de mourir. Comme elle n'est pas en mesure de donner suite elle-même à sa décision, elle demande assistance. Sue Rodriguez s'est même adressée à la Cour suprême du Canada pour obtenir l'aide dont elle avait besoin pour mettre fin à ses jours. La permission lui a été refusée. À mes yeux, il ne s'agissait pas d'euthanasie ni de meurtre et j'aurais souhaité que soit respectée la volonté de Sue Rodriguez. Autant me répugne la mort décidée par autrui, autant me paraît douloureusement acceptable celle à laquelle une personne souffrante aspire de son plein gré.

La nette distinction que j'établis entre le meurtre même motivé par la compassion et le suicide assisté ne nous dit quand même pas comment doivent réagir les législateurs et le pouvoir judiciaire. Dans mon second texte sur ce thème, je citais une décision récente de la justice française : une mère reconnue coupable du meurtre de son enfant lourdement handicapé avait bénéficié de la mansuétude du tribunal. On avait dûment constaté le meurtre, on avait adressé à la mère le blâme que méritait son geste, mais on lui avait permis de retourner rapidement auprès de son conjoint et de ses autres enfants. Mon éloge de cette décision judiciaire m'a valu de respectables mises en garde : trop peu de sévérité risquait de mettre en danger bien d'autres personnes handicapées. Je ne le souhaite évidemment pas, mais j'aurais mieux fait de le dire explicitement.

Premier ajout : je ne crois pas beaucoup à la force dissuasive des peines, à ce que l'anglais appelle le deterrent effect. Si les peines étaient si dissuasives, les pénitenciers ne seraient pas peuplés de gens qui y séjournent pour la troisième ou la quatrième fois. On remarquera d'ailleurs que la sévérité manifestée à l'endroit de Robert Latimer n'a eu aucun effet sur Rachel Craig.

Deuxième ajout : je ne souhaite surtout pas que le meurtre par compassion soit traité comme une peccadille. Je souhaite simplement qu'on laisse aux tribunaux le soin d'apprécier chaque cas. J'aimais que le tribunal français jouisse d'une intelligente marge de manœuvre et puisse moduler sa compréhension ou sa répugnance. La Cour suprême du Canada n'a pas cette marge de manœuvre et je le regrette. Cédant aux pressions d'un fondamentalisme punitif, le Canada réagit depuis quelque temps en truffant son code criminel de peines prédéfinies. Les tribunaux sont souvent réduits au rôle de distributrices automatiques. Pour tel crime, un minimum de deux ans. Pour tel autre, un minimum de vingt-cinq ans sans possibilité de libération conditionnelle. Cela rassure une certaine droite, mais cela empêche les tribunaux d'individualiser les peines et cela conduit à des automatismes stériles et cruels comme celui qui a joué contre Robert Latimer. Dans l'état actuel de la législation canadienne, la notion de meurtre occupe tout l'espace dans le meurtre par compassion, tandis que la compassion en est complètement évacuée. Le meurtre par compassion demeure un meurtre, mais cela ne devrait pas conduire à ignorer son motif.

Troisième ajout : contrairement à ce que laissent entendre les médias et le cinéma, la criminalité n'est pas en croissance exponentielle. Les premières victimes de violence, ce ne sont pas les personnes âgées, mais les jeunes eux-mêmes. Les sentences infligées par nos tribunaux ne sont pas ridiculement légères, mais plus lourdes que dans la plupart des pays, à l'exception, bien sûr, des États-Unis. On voit d'ailleurs ce que rapportent à nos voisins l'emprisonnement à outrance et le recours massif à la peine capitale même contre des mineurs mentalement handicapés. Je comprends que des personnes vivent dans la crainte du crime violent, mais la solution ne se trouve pas dans une sévérité accrue, mais dans une meilleure information et dans des sentences taillées sur mesures par des tribunaux raisonnablement libres de leurs décisions.

Il va sans dire — mais je le dis quand même — que ce texte n'est qu'une nouvelle approximation.

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20010405.html

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