Dixit Laurent Laplante, édition du 10 mai 2001

Les efforts de la commission Mitchell
par Laurent Laplante

La commission Mitchell, créée en octobre 2000, n'a pas tout à fait terminé ses travaux, mais on a déjà un bon aperçu de ce qu'elle estime nécessaire à l'apaisement du Proche-Orient. Son analyse est plus prudente que pénétrante, mais sans doute fallait-il tamiser l'éclairage sous peine de rendre le rapport inacceptable à l'une des parties ou aux deux. Certaines recommandations émergent pourtant avec suffisamment de clarté pour s'imposer. En particulier, celles qui concernent l'expansion des colonies et le comportement de l'armée israélienne.

Dès sa naissance, la commission Mitchell convenait mieux à Israël qu'à l'Autorité palestinienne. Israël tenait à ce que la commission soit présidée par un Américain, alors que Yasser Arafat souhaitait la placer sous la gouverne d'un diplomate des Nations Unies. Le Sommet de Charm el-Sheikh, sans surprise puisqu'il devait tout à Bill Clinton, préféra le point de vue israélien. Le président américain détermina aussi de bout en bout la composition de la commission : deux anciens sénateurs américains, George J. Mitchell et Warren B. Rudman, et trois Européens, Javier Solana, en provenance de l'OTAN, l'ancien président turc Suleyman Demirel et le ministre des Affaires étrangères de la Norvège, Thorbjoern Jagland. Rien, dans les décisions arrêtées par la Maison blanche, ne pouvait inquiéter Israël; rien ne pouvait déclencher l'enthousiasme palestinien.

Le rapport préliminaire de la commission est maintenant connu. L'emprise américaine sur le document est si totale que ce sont des diplomates américains qui en ont remis des copies aux représentants d'Israël et de l'Autorité palestinienne. Quand les parties auront réagi, la commission intégrera à sa réflexion les deux séries de commentaires et remettra son rapport final au président américain. Étrange parcours que celui d'une commission créée par le très interventionniste Bill Clinton et qui remet ses conclusions à un président américain qui ne voue pas une estime particulière à la diplomatie directe (à moins, bien sûr, qu'il s'agisse de libre-échange ).

Malgré ce qui ressemble à un « biais génétique », la commission Mitchell décrit de façon crédible l'atmosphère de méfiance et même de haine qui enveloppe le Proche-Orient. Palestiniens et Israéliens ont appris à s'intenter mutuellement d'interminables procès d'intentions. Ils soupçonnent constamment leurs vis-à-vis de duplicité. Chacun maintient que l'adversaire a choisi une fois pour toutes la voie de la violence. Cela, qui n'a rien d'étonnant ni de nouveau, devait quand même être dit. Dès ce stade, cependant, la commission Mitchell s'astreint à un scepticisme qu'elle aura peine à contrôler. Elle tient tant à ne pas suivre les belligérants dans leurs procès d'intentions qu'elle s'interdit toute spéculation. C'est ainsi qu'elle souffle le chaud et le froid à propos de la visite d'Ariel Sharon à l'esplanade des mosquées : puisqu'Israël lui décrit la visite comme un simple événement de politique intérieure nationale, la commission accepte ce point de vue. Tout au plus concède-t-elle que la visite constituait peut-être un geste inopportun... L'attitude a peut-être de la noblesse, mais elle montre surtout les limites de l'enquête.

La commission ne fait pas beaucoup mieux quand elle effleure l'hypothèse d'une intervention des casques bleus. Elle constate, comme n'importe qui pouvait le faire sans enquête, que les Palestiniens souhaitent la présence d'une force d'interposition et qu'Israël ne veut pas en entendre parler. Au lieu d'exprimer ses propres vues, la commission Mitchell conclut qu'une intervention onusienne est impossible. Serait-elle souhaitable? Elle ne juge pas utile de le dire.

C'est dire que les quelques affirmations fermes de la commission Mitchell détonnent agréablement dans ce survol généralement lénifiant. Il est clair, ose-t-elle dire, qu'aucune pacification n'est possible tant que se poursuit l'implantation de nouvelles colonies israéliennes. La commission, à ce propos, devance même la prévisible justification israélienne : même l'expansion censément attribuable à la croissance démographique doit cesser. Le caractère tranchant de cette affirmation surprend d'autant plus qu'Ariel Sharon ne fait qu'imiter ses prédécesseurs quand il pratique une politique d'occupation du sol palestinien. En effet, sauf au cours d'une brève période, tous les régimes israéliens ont contribué à accroître la présence israélienne en sol palestinien.

Autre affirmation étonnamment claire, la commission Mitchell estime que l'armée israélienne doit se replier sur des positions plus traditionnelles et cesser de tailler le territoire palestinien en zones isolées et étanches.

Qu'est-il demandé en contre-partie à l'Autorité palestinienne? Rien d'exorbitant. Yasser Arafat doit hausser d'un cran sa dénonciation de la violence, exercer un meilleur contrôle sur les éléments tumultueux de sa population, ne pas tolérer les tireurs palestiniens qui pourraient prendre pour cibles les civils israéliens... Cela ne plaira pas à tous les clans palestiniens, mais on reconnaîtra que la paix n'est possible que si toutes les tendances la réclament haut et fort. Le ton modéré des demandes formulées à l'intention de Yasser Arafat dit implicitement ceci : aux yeux d'une commission pourtant plus familière avec les vues israéliennes et américaines qu'avec les revendications palestiniennes, les torts des deux belligérants ne sont pas du même ordre. Les Palestiniens commettent les abus des peuples humiliés, les Israéliens succombent à la tentation d'abuser de leur supériorité technique et militaire. La commission Mitchell, pour ne pas agresser l'opinion israélienne et américaine, invite les deux camps à modérer leurs accusations et à mieux respecter les droits des populations civiles. Elle semble ainsi tenir la balance neutre entre les deux camps. On ne peut cependant s'y tromper : les abus du camp le plus puissant dépassent de beaucoup les excès du camp le plus dépourvu. À tel point que les virages les plus brutaux doivent s'effectuer dans le camp le plus puissant : gel du peuplement israélien du territoire palestinien, retour de l'armée israélienne sur les positions d'avant la crise.

Il faudra attendre le rapport final de la commission Mitchell pour savoir comment réagissent Israéliens et Palestiniens. On doit, cependant, craindre dès maintenant que le rapport soit sans lendemain. D'une part, parce que l'administration Bush sera tentée de se dissocier de l'initiative de l'ex-président Clinton. D'autre part, parce que la situation décrite par la commission Mitchell est déjà dépassée. Non seulement Ariel Sharon accélère l'implantation des colonies israéliennes, mais il a visiblement libéré l'armée de toute tutelle politique. Les militaires n'ont plus à demander l'autorisation d'utiliser les blindés et les béliers mécaniques en territoire palestinien et ils ne sont plus soumis non plus aux enquêtes traditionnelles lorsqu'un Palestinien est tué.

Déjà, Yasser Arafat demande une rencontre au sommet pour étudier les suites à donner au rapport. Déjà, Israël montre son manque d'intérêt. En l'absence d'une présidence américaine prête à ramener son allié israélien à la table de négociations, la commission Mitchell rejoindra dans l'histoire la longue cohorte des efforts aussi vains que nécessaires.

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20010510.html

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