Dixit Laurent Laplante, édition du 20 août 2001

Un départ qui tarde trop
par Laurent Laplante

Stockwell Day fait partie de ceux qui entendent demeurer en place sans demeurer en place tout en demeurant en place. Il aime être chef, mais il offre de démissionner. Il se ravise ensuite et ne consent plus qu'à une démission temporaire. Il déclenche enfin une course à la direction de l'Alliance canadienne sans préciser s'il briguera de nouveau les suffrages. Cela ne constituerait qu'une saga burlesque si les valses-hésitations de M. Day ne livraient pas le pays à un monopole libéral.

Depuis qu'il se démène sur la scène fédérale et même avant, Stockwell Day multiplie les erreurs de jugement directement observables. Il lance des accusations sans pouvoir les étayer. Au besoin, il fait payer par des fonds publics l'essentiel des déplorables conséquences financières qui résultent de ses tirs erratiques. Il transforme en vendetta personnelle une enquête qui aurait dû, malgré le côté rugueux du premier ministre Chrétien, conserver une certaine élévation. Venant d'un politicien qui s'était vanté, en entamant sa campagne électorale, de ne jamais s'abandonner à des attaques personnelles, pareille hargne a déplu à la population et même à beaucoup d'alliancistes. À cela s'ajoutent, de l'avis d'un nombre significatif de députés alliancistes, des manières cassantes et un style de direction que l'on qualifie gentiment d'abrasif. En plus, M. Day a trop vite pensé qu'il pouvait traiter le Parti conservateur de M. Clark comme une quantité désormais négligeable et le mettre cavalièrement à sa botte. C'est beaucoup pour un homme politique dont l'expérience se réduit à la gestion d'un seul et unique portefeuille provincial. C'est trop, même pour un homme politique porté aux nues par un public aux tendances lourdement conservatrices.

À la décharge de M. Day, on peut reconnaître que les députés alliancistes ne sont pas eux-mêmes des incarnations convaincantes de la souplesse idéale ou de la largeur de vues minimale. Nombre d'entre eux sont venus à la politique pour y imposer des vues punitives, une réduction draconienne des programmes sociaux et aussi, ce qui n'est pas blâmable en soi, un fédéralisme moins soumis au Canada central. Bien peu d'entre eux ont une vision éclairée de l'ensemble du pays et savent dégager un dénominateur commun entre leur base électorale marquée par le fondamentalisme américain et la population de l'Ontario et du Québec qui n'a que faire de ce manichéisme. Que M. Day n'ait pas réussi à amadouer chacun des députés d'un tel parti, on ne peut s'en étonner. M. Preston Manning, le père fondateur, y parvenait à peine.

Cela dit, les louvoiements de M. Day pour éviter la porte de sortie ont causé tant de tort à son parti et tant nui à l'équilibre politique dont le pays entier a besoin qu'ils doivent cesser. Il est tout simplement aberrant, par exemple, que M. Day laisse planer sur le prochain congrès à la chefferie la menace, car c'en est une, qu'il soit de nouveau candidat. Aucune des suites qu'aurait une telle candidature ne peut être heureuse. S'ils sont confrontés à un collègue dont le style déplaît à plusieurs d'entre eux, les députés alliancistes profiteront forcément de cette course à la direction pour régler publiquement leurs comptes avec lui. Si, malgré tout, M. Day est réélu à la direction, tout ce beau monde reviendra à la première case et s'adonnera de nouveau à une ronde de démissions. Si, par contre, l'entêtement de M. Day débouche sur une défaite personnelle dans cette course à la direction, l'Alliance canadienne ne sortira quand même pas de l'aventure en meilleur état qu'aujourd'hui : elle en sera à son troisième chef en l'espace de quelques courtes années et demeurera tout aussi incapable de déborder ce qui a été jusqu'à maintenant un territoire de chasse aux dimensions et à la psychologie régionales.

Ce que l'Union nationale a vécu au Québec à la fin des années 1960 présente suffisamment de similitudes avec ce que risque l'Alliance canadienne pour que ce parti et peut-être même M. Day comprennent où se situe leur intérêt. Qu'on se souvienne. À la mort du premier ministre Daniel Johnson, la vieille garde unioniste choisit Jean-Jacques Bertrand pour lui succéder, au grand déplaisir de Jean-Guy Cardinal qui avait d'assez bonnes raisons de croire que le premier ministre décédé le considérait comme son dauphin. Jean-Jacques Bertrand, pourtant premier ministre, convoqua alors un congrès à la direction et remporta une assez courte victoire contre Cardinal. Divisée, démoralisée, l'Union nationale fut ensuite une proie facile pour les libéraux de Robert Bourassa en 1970. Le congrès avait agi comme un révélateur du pire.

M. Day pourrait en tirer au moins une leçon : les courses à la direction constituent un prisme grossissant dont il faut prévoir les révélations. Ces courses donnent une grande visibilité au parti et à son nouveau chef, mais ces exercices mettent aussi en lumière les carences, les rancunes, les insuffisances. Une course comme celle que M. Day rend nécessaire est promise au désastre s'il pose sa candidature; elle est au mieux une perte de temps si elle se déroule sans lui.

Un Stockwell Day aussi respectueux de l'éthique qu'il prétend l'être nettoierait tout de suite l'atmosphère. Il renoncerait clairement et immédiatement à la direction d'un parti dont il a sapé les assises et se tiendrait prêt à partir dès qu'on lui aurait trouvé un successeur. Il appartiendrait alors à l'ensemble des députés alliancistes de décider s'ils entendent courir le risque d'une course à la direction ou si, comme tant d'autres formations politiques, y compris l'actuel Parti québécois, ils font l'économie d'une telle aventure et désignent eux-mêmes le prochain chef de l'Alliance canadienne. En l'espace de quelques jours, de quelques semaines tout au plus, l'opposition officielle retrouverait au moins une apparence d'unité.

L'Alliance canadienne n'aurait pas liquidé pour autant le triste héritage de Stockwell Day. Il lui resterait à se situer de nouvelle façon par rapport au Parti conservateur. De nouvelle façon, parce que le rapport de force entre alliancistes et conservateurs, grâce (!) à M. Day, s'est inversé en moins d'un an. Le regroupement des forces de droite, dont l'Alliance canadienne prétendait dicter les modalités il y a quelques mois, dépend désormais des conservateurs bien plus que des alliancistes. Les sondages montrent d'ailleurs que le parti de M. Clark, malgré un sérieux retard sur le Parti libéral, est redevenu à l'échelle du Canada le deuxième parti. L'Alliance doit en tenir compte.

Je n'éprouve aucune sympathie pour les idées que véhicule l'Alliance canadienne et l'idée que la droite soit pour longtemps encore écartée du pouvoir ne me plonge pas dans la dépression. J'estime quand même urgent que nous sortions d'un monopole politique qui n'a plus rien de démocratique.

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