Dixit Laurent Laplante, édition du 8 octobre 2001

Des leçons à assimiler
par Laurent Laplante

Attaqués dans leurs symboles et sur leur sol, les États-Unis réagissent selon les méthodes qui leur sont familières et qui ne toucheront jamais le terrorisme dans ses racines. Contesté et même défait jusque dans ses comtés réputés les plus sûrs, le Parti québécois ne consent qu'à des ajustements de vocabulaire qui ne redonneront évidemment pas à cette formation politique la pertinence perdue. Certes, il faut faire la part des choses et reconnaître aux dirigeants politiques d'ici et d'ailleurs le droit de ne pas se flageller sur la place publique. Il n'en demeure pas moins que des révisions déchirantes s'imposent et que les pouvoirs en place semblent s'y refuser.

Le Parti québécois, que M. Landry l'admette ou non, a perdu son aura de parti audacieux, inventif, démocratiquement pourvu d'antennes. L'exercice du pouvoir l'a révélé capable de gestion rationnelle, mais l'a emprisonné dans les limites étroites des perspectives comptables. Ce parti ne pense plus. Les différences se sont résorbées qui distinguaient ce parti de tous les autres. Seule la souveraineté, jusqu'à Lucien Bouchard exclusivement, le marquait d'une spécificité. Avec Lucien Bouchard, la souveraineté s'est recroquevillée au point de n'être qu'un sujet de discours et, plus précisément, de discours destinés à calmer les impatiences des souverainistes intransigeants. Quand arriva M. Landry, la souveraineté revint à l'avant-scène, mais elle ne proposait désormais qu'un changement de structure et non une nouvelle société.

Quand s'est produit l'indéniable recul du Parti québécois dans les récentes élections complémentaires, la réaction de M. Landry fut de mettre la souveraineté au placard, comme s'il fallait imputer à ce plaidoyer la responsabilité de la désaffection. C'est prononcer un diagnostic douteux et prescrire le mauvais remède.

Ce n'est pas la thèse souverainiste qui mérite le blâme, mais l'absence de contenu dans cette thèse. Ce qui presse, c'est de dire ce que le Québec ferait de la souveraineté, en quoi une société québécoise nantie de pouvoirs élargis se distinguerait des autres, en quoi le prochain Sommet des Amériques sera modifié si le Québec y participe à titre d'État indépendant. Changer n'est pas honteux ou répugnant, mais dénoncer les structures politiques existantes sans expliquer ce que l'on attend des nouvelles, c'est demander à l'électorat de courir des risques inutiles ou du moins imprécis. Mettre la souveraineté sur la touche pour un temps indéterminé, c'est faire du Parti québécois un lieu de tractations quantitatives, alors qu'il était l'incubateur d'un projet social. Cette frilosité péquiste, on l'avait d'ailleurs sentie lorsque le parti a soigneusement évité d'engager un débat lors du couronnement du nouveau chef. Pauline Marois et Bernard Landry ont préféré se partager le pouvoir au lieu de mener le débat dont le parti et le Québec avaient besoin.

Les conséquences sont devant nous. Le Parti québécois, depuis Lucien Bouchard, mais plus encore avec Bernard Landry, campe sur la droite de l'échiquier. Tellement à droite, à dire vrai, qu'il ne parvient même plus à séduire le centre. Tellement à droite que le Parti libéral, malgré l'insondable vide intellectuel de son chef, parvient mieux à écouter les gens et à épouser leurs préoccupations. C'est le Parti libéral qui recrute des femmes sensibles aux besoins sociaux et qui en fait des élues. Le Parti québécois n'a aujourd'hui que dédain pour une gauche qui est certes balbutiante et qui mise de façon anachronique sur les grossièretés d'un Michel Chartrand. En se servant de ces candeurs comme alibi pour ses connivences excessives avec le grand capitalisme, le Parti québécois se coupe de son réservoir naturel de renouveau et de sensibilité et oublie la vieille leçon d'un André Laurendeau : « On naît à gauche et on meurt à droite ». À moins de prendre conscience de la dérive qui l'emporte vers la droite et qui abandonne le centre de l'échiquier aux offensives libérales, le Parti québécois ressemblera bientôt à ces gens costauds et sûrs d'eux-mêmes qui meurent en pleine santé et sans éprouver le moindre doute.

Les États-Unis, à l'échelle qui est la leur, lisent plus mal encore les signes dans le ciel que Balthazar ne décryptait son mane, thecel, phares. Pour éliminer les taliban qu'ils ont soutenus contre l'ancien régime afghan, ils réarment cet ancien régime pour venir à bout des taliban. Ils pactisent ainsi avec le terrorisme pour contrer un autre terrorisme, avec une corruption extrême pour abattre un fanatisme extrême. Les États-Unis mettent aussi à contribution des régimes aussi peu démocratiques que l'Arabie saoudite et le Pakistan. Ils font d'ailleurs semblant de ne pas savoir qu'une bonne proportion des terroristes impliqués dans les attentats de New York et de Washington proviennent d'Arabie saoudite et non de l'Afghanistan et que le Pakistan aime bien déstabiliser l'Afghanistan pour pouvoir se concentrer sur la menace indienne. Ils oublient au passage que l'absolution accordée aux essais nucléaires pakistanais et indiens réintroduit une menace d'envergure dans ce sous-continent. Les apprentis-sorciers américains épongent l'eau dans la cave sans réparer le tuyau brisé.

Les États-Unis, en offrant leurs dollars au Pakistan et à l'Inde, aux réfugiés afghans et à qui encore, croient pourtant se concilier durablement l'opinion arabe. Ils croient également déclencher l'enthousiasme en affirmant, d'ailleurs du bout des lèvres, que les Palestiniens ont droit à un État autonome. Encore là, le diagnostic est primaire et futile le cataplasme. Les deux semaines suivant les attentats du 11 septembre avaient fait la preuve que les États-Unis, quand ils le veulent vraiment, peuvent (presque) juguler les frénésies meurtrières d'un Ariel Sharon, mais les dernières heures démontrent, par la recrudescence des assassinats délibérés et les provocations de l'armée israélienne en territoire palestinien, qu'Israël a obtenu de Washington la permission de renouer avec ses excès. Les pays arabes ne peuvent s'y tromper : alors même que Washington tente de les séduire, ils ne posent aucun geste concret qui puisse donner espoir aux Palestiniens. Les États-Unis, en somme, continuent de traiter le monde arabe comme une sous-humanité qu'on peut leurrer avec quelques pourboires, mais auquel on ne concéde pas vraiment les droits minimaux.

Quand la possession tranquille de la vérité endort de la sorte l'esprit et la conscience des pouvoirs, nul véritable changement ne peut survenir. Les leçons des élections complémentaires n'entament donc pas les certitudes d'un régime péquiste qui a beaucoup oublié de ses valeurs initiales. Et la tragédie du 11 septembre n'a visiblement pas fait comprendre aux États-Unis qu'une lutte efficace au terrorisme passe par le respect des autres cultures. Leçons perdues.

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20011008.html

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