Dixit Laurent Laplante, édition du 18 octobre 2001

Deux mauvaises réactions
par Laurent Laplante

Le Canada réagit doublement mal aux crimes perpétrés à New York et à Washington. D'une part, il endosse les injustifiables bombardements américains sur l'Afghanistan et ne ferme pas la porte à une expansion de l'assaut en direction de l'Irak. D'autre part, il durcit sa législation au détriment des valeurs dont il ne cesse pourtant de se gargariser. Dans le premier cas, il regarde d'un oeil sec s'allonger la liste des victimes civiles imputables aux bombardements et se profiler la menace de nouvelles attaques contre Saddam Hussein; dans le second, il lutte contre le terrorisme en accroissant les ressources de la répression policière au lieu de bonifier sa politique étrangère. Aspect particulièrement déprimant, cette double erreur d'aiguillage semble convenir à la grande majorité de la population et de la Chambre des communes.

En l'absence de bilan crédible, nul ne peut savoir si le nombre de civils afghans tués par les bombardements américains rejoint ou dépasse déjà le total des victimes balayées sauvagement par les attentats du 11 septembre. Le public sait tout des capacités meurtrières des divers types d'avions utilisés, mais rien des morts causées. L'armée américaine, qui observe chaque centimètre de terrain, agit comme si les cadavres étaient la seule chose que ne puissent voir ses satellites et ses robots volants. Ce qu'on sait, en revanche, c'est que ces morts sont inutiles et ne constituent toutes que du sang versé sur les autels des divers fanatismes. Ce dont on ne prend cependant pas conscience encore chez les fervents de la mondialisation à outrance, c'est que le jour doit venir où une vie occidentale cessera de « valoir » dix ou cent fois une vie africaine, arabe ou asiatique. Il y a pourtant un racisme larvé dans nos évaluations qui donnent plus de poids aux 5 000 morts américaines qu'aux 700 000 victimes du génocide rwandais. D'ici à ce que se lève ce jour qui a déjà trop tardé, il nous est ordonné par notre conscience de penser et de dire que les morts afghanes sont aussi criminelles que celles de New York et de Washington. À défaut de le penser et de le dire, nous deviendrons, de spectateurs que nous prétendons être, d'authentiques assassins. Le Canada ne semble pas le comprendre.

Notre pays ne se donne même pas la peine de renseigner minimalement la population sur les demandes qu'il reçoit et les décisions qu'on le presse de prendre. Dès les premiers jours de l'administration Bush, la Maison-Blanche ne cachait pas son intention de régler enfin le sort de Saddam Hussein. On pouvait même redouter que MM. Bush et Powell se laissent entraîner dans l'engrenage guerrier par leur haine personnelle du dictateur irakien. Il était donc prévisible que les États-Unis, tout en pourchassant ben Laden, gardent un oeil sur l'Irak et lui réservent peut-être sa part de bombardements. Mais rien n'a encore précisé ce que pourrait être la réaction canadienne face à cet éventuel débordement. M. Chrétien a-t-il été mis au courant? Quand le premier ministre canadien affirmait que les États-Unis n'avaient formulé aucune demande précise en direction du Canada, omettait-il une référence imprécise à l'Irak? Et va-t-on, après nous avoir demandé l'acte de foi à propos de la culpabilité de ben Laden, exiger maintenant de nous que nous condamnions Saddam Hussein sur simple soupçon américain? Étrange servilité que celle d'un pays dont le voisin dispose à sa guise et qui rend plus volontiers des comptes à la Maison-Blanche qu'à ses citoyens.

Le Canada se trompe également quand il table sur la répression pour obtenir ce qui devrait provenir d'un virage de sa politique internationale. Il y a peu de mois encore, le Canada ne savait plus quoi faire de ses surplus budgétaires, mais il n'a pas cru utile de hausser son aide aux pays pauvres. Le ministre Paul Martin a multiplié les déclarations généreuses et promis trois fois plutôt qu'une l'allègement de la dette des États démunis, mais qu'a-t-il fait concrètement? Au moment des attentats, le Canada faisait toujours partie du club des pays riches dont la contribution à l'aide internationale allait diminuant. Seul le Japon augmentait son aide. Si une période de prospérité s'accompagne d'une réduction de notre aide, on peut imaginer ce que causera un temps de compressions budgétaires.

La bonification de notre aide internationale est d'autant moins probable que la répression jouit présentement des faveurs du gouvernement et de tous les partis d'opposition, à l'exception du NPD. Le Bloc québécois souhaite, il est vrai, que l'ONU joue un rôle plus considérable, mais il n'ose visiblement pas heurter l'opinion publique en lésinant sur la ferveur militaire. Dans les circonstances, le gouvernement Chrétien a beau jeu de consacrer des millions à une meilleure surveillance des frontières et de nantir les forces policières de pouvoirs aussi inutiles qu'exorbitants. Car c'est de cela qu'il s'agit : de pouvoirs dont la police n'a nul besoin. Dans sa teneur actuelle, la loi permet, en effet, l'écoute électronique, l'interrogatoire, l'arrestation et la détention dont on prétend avoir besoin, mais elle entoure ces interventions policières de précautions qui doivent continuer à faire notre fierté. Les modifications législatives ne visent donc pas, selon toute probabilité, à boucher des trous dans nos mécanismes de protection, mais à aligner nos procédés sur ceux des États-Unis. À toutes fins utiles, il s'agit d'une véritable intégration institutionnelle effectuée en prenant prétexte des attentats du 11 septembre. Après avoir promis que le Canada garderait sa spécificité, voilà qu'on la brade. Voilà aussi qu'on transforme en cadre permanent - qui croit à la révision aux trois ans? - ce qui ne se justifie qu'en temps de guerre.

Mais, dira-t-on, ne sommes-nous pas en guerre? Non, répétons-le, nous ne sommes pas en guerre. Nous sommes en face de crimes contre l'humanité, ce qui n'est pas la même chose. En face de crimes contre lesquels il est possible de lutter avec la législation actuelle. En face de crimes dont la probabilité diminuerait énormément si nous donnions aux pays pauvres ce que nous dépensons en répression.

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20011018.html

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