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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 7 février 2002

Médias, impôts, dettes et autres broutilles

Beaucoup n'ont pas encore compris qu'un sommet comme celui de Porto Alegre mérite d'être traité autrement que comme une destination touristique. Pourtant, le sommet social ne portera ses fruits que si on lui accorde, individuellement et collectivement, le respect et l'écoute. Il faut donc insister.

1. Le sommet se déroule depuis deux ans dans l'hémisphère sud. Les organisateurs semblent parfaitement capables d'accueillir dans la bonne humeur des foules immenses. Budget de 1 650 000 $, dont une bonne moitié vient de la municipalité. Pourquoi multiplier les pressions pour tenir le sommet plus loin des pays pauvres? Pour accroître les dépenses des délégués en provenance des pays endettés? Pour ajouter un congrès à la liste des congrès qui font tourner l'économie touristique dans l'hémisphère nord? Aucun de ces motifs n'est honorable.

2. Il est heureux qu'un certain nombre de médias de l'hémisphère nord se soient intéressés au sommet social, mais rares sont ceux qui ont vraiment pris le temps d'écouter. Le rapport MacBride a déjà noté que l'information est toujours traitée selon les préférences des pays nantis et nos médias continuent à obéir à cette tendance. À croire que le journaliste expédié là-bas doit interviewer en priorité ceux et celles qui sont pour lui des figures familières. Étrange conception de l'information. À quoi bon nous faire entendre le point de vue d'une journaliste québécoise sur la polygamie africaine, puisque c'est un point de vue déjà connu et forcément ethnocentrique? En revanche, on aurait aimé savoir de leur propre bouche comment les Africaines perçoivent leur condition familiale, conjugale et sociale. Ce sera pour une autre fois. Chose certaine, on comprend pourquoi la première exigence d'un des artisans de la réforme politique en cours dans ce coin du Brésil, c'est la démocratisation des médias. Il y a décidément encore trop de journalistes qui croient en leur objectivité et qui se croient capables de parler à la place de l'autre.

3. On aura compris que plusieurs États d'Amérique du Sud manquent d'enthousiasme, c'est le moins qu'on puisse dire, au sujet de la ZLÉA. On s'en doutait et confirmation nous en a été fournie. Mieux vaudrait finir par comprendre que ce qu'on appelle le libre-échange profite d'abord aux pays prospères. Si on aime la formule, c'est qu'on fait partie de ceux qui espèrent piper les jeux encore un peu plus. Le pays pauvre sort toujours perdant des échanges commerciaux totalement libéralisés, car les règles du jeu qu'impose la libéralisation du commerce sont celles qu'édictent les pays dominants. S'il en est ainsi, comment le Canada et le Québec, fervents propagandistes du libre-échange et bénéficiaires de ses retombées, peuvent-ils s'associer aux protestations de l'hémisphère pauvre?

4. Glissons rapidement sur l'extinction, cent fois demandée et vingt fois promise, de la dette des pays pauvres. Premièrement, cette dette est en majeure partie le résultat de transactions léonines. Deuxièmement, l'hémisphère nord ne supprimera que les dettes qui, à toutes fins utiles, sont déjà des créances perdues.

5. L'aide aux pays pauvres est à la fois une nécessité, un risque et une hypocrisie. La norme de 0,7, proposée il y a des lunes, n'est toujours pas respectée. Par personne, même si le Japon et les pays scandinaves en sont parfois assez proches. Le Canada n'atteint pas 0,2. Les États-Unis, en première place pour la vente d'armes, devant la Grande-Bretagne, la Russie et la France, sont satisfaits de leur vingt-deuxième place au chapitre de l'aide. À cela s'ajoute le fait que l'aide est rarement une aide. Des relevés crédibles estiment que 85 pour 100 des montants théoriquement consacrés à l'aide est, en fait, dépensé par les pays donateurs auprès de leurs propres entreprises. Le 15 pour 100 qui reste est en partie intercepté par des élites locales corrompues sous l'oeil complaisant des donateurs qui leur doivent des contrats. Dans les cas les plus scandaleux, l'aide nuit au pays bénéficiaire. L'exemple le plus immédiat est celui de l'aide américaine (USAID) à l'Afghanistan : grâce à elle, ce sont des semences à base d'OGM que les paysans afghans sèment présentement.

Que l'aide soit nécessaire, on le reconnaîtra théoriquement. Et encore! Peut-être faudrait-il relire Jacques B. Gélinas (Et si le Tiers-Monde s'autofinançait), Axelle Kabou (Et si l'Afrique refusait le développement) ou Michel Chossudovsky (La Mondialisation de la pauvreté).

6. Mentionnons pour mémoire l'émouvant plaidoyer de Bill Gates en faveur des pauvres du monde. De la part d'un milliardaire coupable de pratiques monopolistiques, le geste révèle la complexité de l'âme humaine.

7. Le libre jeu des forces du marché demeure, nous dit-on, le meilleur remède à tous les maux. Il profite d'ailleurs, paraît-il, à tout le monde. Les chiffres de 2000 à propos des investissements directs étrangers (IDE) ne vont pourtant pas dans ce sens. D'un total de 1 300 milliards de dollars en IDE, les pays riches et industrialisés ont reçu 18 pour 100 et les pays en voie de développement à peine davantage (19 pour 100). Comme répartition de la richesse et comme effort de rattrapage, on a déjà vu mieux. Mais cela, déjà peu réjouissant, s'aggrave si l'on observe l'Afrique : le continent noir n'a reçu que 1 pour 100. Quant au bloc des 49 pays les moins avancés, leur part des IDE se limitait à moins encore : 0,3 pour 100.

8. Les institutions censément internationales, sur lesquelles l'humanité comptait pour réduire les disparités entre pays pauvres et pays riches, ont perdu toute crédibilité dans les pays de l'hémisphère sud. Le FMI et la Banque mondiale sont à la botte des États-Unis et du monde financier; leur objectif est d'aligner les pays sur le modèle prédominant, de favoriser le libéralisme économique de préférence à l'équité, de maintenir le flux économique à l'avantage des banques et des pays industrialisés. Alors qu'il urge de réduire la force de dévastation des capitaux spéculatifs, le FMI et la Banque mondiale regardent ailleurs.

9. La cohérence voudrait que les pays riches, le nôtre compris, ratifient d'urgence le protocole de Kyoto et assument leurs responsabilités en matière de protection de l'environnement. La concurrence serait alors un peu plus possible pour les pays pauvres. Au lieu de cela, le Canada fait des pieds et des mains pour esquiver ses devoirs et invoque le rôle purificateur de ses grandes forêts pour continuer à polluer la planète. Visiblement, notre pays aime les pauvres et tient à en avoir beaucoup et longtemps.

10. J'allais l'oublier : Kofi Annan a fait un bon discours.

RÉFÉRENCES :

Forum social mondial 2002
Porto Alegre 2002
La reconstruction américaine en Afghanistan passe par les OGM, Inf'OGM, 29 janvier 2002.
Et si le Tiers-Monde s'autofinançait, Jacques B. Gélinas, Les Éditions Écosociété.
La mondialisation de la pauvreté, Michel Chossudovsky, Les Éditions Écosociété.

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