Dixit Laurent Laplante, édition du 15 avril 2002

Ici et là
par Laurent Laplante

Comme l'actualité lance l'attention en diverses directions, mes commentaires s'en ressentent et ressemblent à une macédoine. Je me réconforte à la pensée que bien des conversations font de même et que nous y prenons quand même du plaisir et peut-être un certain profit.

Pas de Proche-Orient?
Un lecteur, traducteur de son métier, réagit à mon récent texte sur la politique canadienne applicable à ce qu'on persiste à appeler le processus de paix au Moyen-Orient. J'avais exprimé mon étonnement devant un texte gouvernemental qui utilise le terme de Moyen-Orient pour situer géographiquement le conflit entre Israël et les Palestiniens. Mon correspondant attire l'attention sur le fait que l'anglais n'utilise à peu près jamais l'expression de Proche-Orient. Pourquoi distinguer quand l'Empire qui englobait tout a simplifié son vocabulaire? Je suis tenté d'en déduire, comme lui je pense, que la politique canadienne a été rédigée en anglais, puis traduite. Sans surprise, la version française se ressent de la rédaction anglaise. Comme quoi la domination de l'anglais modifie même la géographie. Je vais quand même m'en tenir à un Proche-Orient plus intelligible.

Pas d'autre reine mère?
Est-il permis de dire, sans commettre un crime de lèse-majesté, que le départ de la bonne vieille maman d'Élizabeth II a baigné un peu beaucoup longtemps dans le suranné, la guimauve, le rite anachronique? Même si le premier ministre Chrétien a surtout dit des sottises au cours de son périple africain, il n'avait quand même pas à suspendre sa tournée pour assister à des obsèques qui auraient pu être dignes sans s'exporter longuement.

Et Radio-Canada?
Les jours et les semaines passent sans que Radio-Canada diffuse autre chose qu'une information squelettique. Ai-je le droit de le déplorer? Le fait que je sois normalement à une antenne régionale de la SRC au rythme de trois billets par semaine me place-t-il en conflit d'intérêts et m'interdit-il d'en parler? Je me suis convaincu que non. D'une part, parce que le pigiste interchangeable que je suis n'a jamais eu à voter pour ou contre un arrêt de travail; d'autre part, parce le résultat des négociations ne changera rien à mon statut et à ma rémunération. Je continuerai à être un occasionnel qu'on embauche et qu'on renvoie sans cérémonie ni même contrat. Donc. Cela me laisse ma liberté d'expression.

Je n'aime pas tout dans les moeurs de Radio-Canada, mais je ne saurais me passer complètement de sa radio. Comme l'écrit Pierre Bourgault, « je peux vivre assez facilement sans la tribune téléphonique du midi, animée par le précieux ridicule persifleur qui y règne en maître » (Journal de Québec, 8 avril 2002), mais j'ai besoin, un besoin que j'estime démocratique, des intelligents coups de sonde de Sans frontière. Cela m'apparaît particulièrement vrai depuis que les événements de septembre dernier ont suscité un nouvel intérêt pour les affaires internationales.

À côté de ce besoin, il y a mes diverses surprises. Surprise qu'une entreprise censément vouée à la diffusion de la culture et de l'information tape du pied de façon puérile dès que la partie syndicale ose esquisser l'ébauche de l'ombre d'un commencement de compte rendu public ou va porter une pancarte sur les pelouses d'un Parlement qui a toujours réagi plus vivement aux conflits de travail de la CBC qu'à ceux des chaînes francophones. Surprise qu'on ne veuille pas renseigner le public, alors qu'on s'empresse de monter aux barricades judiciaires dès qu'il est question d'un huis clos dans le cadre d'un procès. Surprise quand aucune des parties en présence ne semble intéressée à définir ce que seraient les services essentiels dans un domaine aussi vital que l'information.

De prétexte en prétexte
Ni Colin Powell ni son patron ne sortent grandis des mensonges et des esquives dont ils nous abreuvent depuis les débuts du blitz israélien en sol palestinien. M. Powell s'entretient des heures durant avec le premier ministre israélien dont l'armée multiplie les crimes contre l'humanité, mais il ne rencontre Yasser Arafat que si celui-ci témoigne d'une contrition parfaite pour des gestes dont il n'est pas responsable. Au lieu de voler en catastrophe au Proche-Orient et de stopper le délire meurtrier d'Ariel Sharon, M. Powell a délibérément parsemé son itinéraire d'arrêts parfaitement futiles, de manière à laisser à Israël le temps de tuer et d'enterrer les preuves de ses massacres. En retardant comme à plaisir une éventuelle rencontre avec Arafat, Colin Powell accorde à une impossible éradication du terrorisme par Israël le loisir de ressembler encore davantage à une solution finale.

Dans ce contexte, il est réconfortant d'entendre des voix courageuses et sensées. Comme celle du chef d'orchestre juif Daniel Barenboïm : « Beaucoup de gens pensent que critiquer le gouvernement israélien, c'est être antisémite. Cela n'a rien à voir, de même qu'entre les Arabes qui n'acceptent pas les colonies israéliennes et l'antisémitisme européen, il y a une différence de fond. Pour ma part, je ne comprends pas la politique de Sharon ni sur le plan moral ni sur le plan stratégique. Il n'y a pas de solution militaire à ce conflit. Tout peuple a droit à des aspirations nationales. Le drame, c'est que les aspirations des juifs et des Palestiniens ont été éveillées à peu près au même moment, mais que seules celles des juifs ont été satisfaites. Je reste aujourd'hui convaincu que le peuple juif avait le droit d'avoir sa terre, mais, plus de cinquante ans après l'indépendance d'Israël, je crois le moment venu de se demander à quel prix s'est effectué ce retour : le prix à payer par ceux qui étaient déjà là. » (Le Figaro, 9 avril 2002, p. 26).

Comme quoi un grand musicien peut lire la politique mieux que certains chefs d'état-major. C'est le même Daniel Barenboïm qui avait planifié un concert à Ramallah et qu'on a empêché de le présenter.

Faut-il soupçonner la CIA?
Les ressemblances sont si manifestes entre le renversement raté de Chavez au Vénézuéla et celui dont fut autrefois victime Allende au Chili qu'il n'y a aucune paranoïa à soupçonner la CIA d'avoir participé au second coup d'État autant qu'elle l'avait fait au premier. Jean-Pierre Cloutier avait d'ailleurs compris, prévu et prédit, dès les nominations du président Bush au sujet de l'Amérique latine, ce qui vient de se produire. Je le soupçonne d'avoir même connu la date du coup d'État, mais de nous l'avoir cachée de peur de paraître arrogant.

Les torts d'Hugo Chavez aux commandes du Vénézuéla? Sa sympathie pour Fidel Castro et sa propension au même type d'interminables discours pédagogiques. Une détestation clairement exprimée à l'égard des conglomérats pétroliers et gaziers qui dépossèdent les États de leurs richesses naturelles. Un petit côté rebelle qu'il fut le seul à manifester lors du Sommet des Amériques. Peut-être une certaine « compréhension » pour la guérilla colombienne. Bien sûr, on lui reprochera les excès répressifs de la police lors des récentes manifestations, mais qu'est-ce que cela pèse à côté des crimes d'Ariel Sharon?

L'ubiquité d'une pieuvre?
Proche-Orient, Afghanistan, Vénézuela, Philippines... À voir les interventions réelles ou appréhendées de la toute-puissance américaine se multiplier et se situer dans des décors éloignés les uns des autres, on relit avec une attention décuplée les déclarations de M. Rumsfeld à ses adjoints : les États-Unis doivent se doter des moyens d'intervenir non plus seulement sur deux théâtres d'opération majeurs, mais sur quatre et demi...

__________

URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20020415.html

ACCUEIL | ARCHIVES | ABONNEMENT | COURRIER | RECHERCHE

© 1999-2002 Laurent Laplante et Les Éditions Cybérie. Tous droits réservés.