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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 6 juin 2002

Des possibilités, pas des certitudes

La vie politique s'est brusquement animée à Ottawa et à Québec, au point que des changements deviennent possibles. Pas certains, mais possibles. Pas nécessairement souhaitables, mais possibles. Il se peut que se maintienne la faveur dont jouit présentement l'Action démocratique du Québec, comme il se pourrait que le limogeage du ministre canadien des Finances sensibilise le gouvernement de Jean Chrétien à de nouvelles priorités. Plusieurs risques se dressent cependant sur le chemin des prophètes : il se peut que les changements apparemment prometteurs soient plus spectaculaires que substantiels, tout comme il se peut que les réalignements escomptés ne se produisent pas.

À Ottawa, un parti politique qui se considère comme propriétaire du pouvoir vit une révolte de palais sans effusion de sang, comme nos latitudes les pratiquent. Le vizir qui veut devenir calife à la place du calife se croit assez fort pour défier ouvertement le calife et attire sur lui la colère du calife. Erreur d'appréciation de la part de M. Martin? Pas nécessairement. Le Parti libéral fédéral, en effet, est si centralisé et monarchique que ses chefs ont contracté la manie de choisir eux-mêmes leur dauphin. Lester Pearson jeta son dévolu sur Pierre Trudeau et le favorisa jusqu'au couronnement inclusivement. Jean Chrétien, dont Pierre Trudeau se servit souvent comme exécuteur de ses basses oeuvres et qui n'avait pas des manières susceptibles de lui porter ombrage, a bénéficié du parrainage de son auguste prédécesseur infiniment plus que John Turner. À long terme, c'est le favori de Pierre Trudeau qui l'emporta.

Aujourd'hui, il est clair que M. Chrétien, imitant ses prédécesseurs, entend oindre lui-même son successeur et que son choix ne se portera pas sur Paul Martin. Au sein d'un parti qui se conduit comme une monarchie et qui pousse le culte de la continuité jusqu'à laisser le chef se perpétuer dans la personne de son dauphin, que peut faire l'aspirant qui ne plaît pas au roi? Taper du pied? Dorloter l'opinion publique et les médias? Tout cela, Paul Martin l'a fait sans améliorer ses chances d'un iota. Il lui restait à défier le chef et c'est ce qu'il a fait. Il a peut-être perdu une bataille, il n'a pas encore perdu la guerre. De notre côté, cependant, nous aurons perdu et la bataille et la guerre si le coup de force de Jean Chrétien fut une astuce pour qu'on cesse de parler de corruption.

Différentes données brillent encore par leur absence dans cette affaire. D'une part, on ne sait trop si les rivaux Chrétien et Martin s'entendaient ou divergeaient sur les orientations économiques. Si l'un mythifiait l'atteinte du déficit zéro, tandis que l'autre souhaitait une diminution de la dette ou une tricherie moins voyante dans la manipulation de l'assurance-chômage, des affrontements ont pu se produire. Si cela s'avérait, le départ de M. Martin pourrait signifier un certain réalignement des priorités. MM. Chrétien et Manley jurent que non, mais rien n'oblige à les croire. D'autre part, on aurait tort de prendre au pied de la lettre les déclarations de Jean Chrétien quant à sa longévité politique. Ce n'est pas parce que M. Chrétien repousse sans cesse l'heure de son départ qu'il veut vraiment rester en poste éternellement. M. Chrétien a déjà battu les records de Pierre Trudeau en termes de gouvernements majoritaires consécutifs et c'est cela qu'il visait. Ce que désire maintenant M. Chrétien, il se peut que ce ne soit pas un prolongement de son règne, mais la désignation de son successeur. L'homme, on le sait, est rancunier et vindicatif; s'il s'est mis dans la tête de rester en poste assez longtemps pour éliminer Paul Martin et hisser son dauphin sur le trône, Jean Chrétien le fera. Que cela favorise John Manley ou Alan Rock ou que cela donne le goût à Brian Tobin de quitter sa fausse retraite.

Ajoutons encore à ces possibilités : ce que le Parti libéral va perdre en appui populaire au cours des prochaines semaines peut ne profiter à aucun parti d'opposition. Ce serait dommage, car ce n'est pas en traitant comme des pions les ministres qui le placent dans l'embarras que le premier ministre dotera son parti d'une éthique. Le pourcentage d'indécis augmenterait alors, mais l'appui aux partis d'opposition, qui n'ont rien eu à faire dans le limogeage de M. Martin, continuerait à stagner. Et M. Chrétien rigolerait.

Au Québec, de nouvelles possibilités interviennent désormais dans les calculs et les prévisions. Le Parti libéral de M. Charest ne fait plus figure de prétendant au trône autant qu'auparavant. L'ADQ a cessé d'être un parti marginal pour devenir, au moins pour un temps, un rival sérieux. La meilleure preuve en est que MM. Landry et Charest triturent présentement leur discours plus qu'ils n'avaient consenti à le faire depuis des mois. De son côté, Mario Dumont bénéficie d'une énorme visibilité et présente à l'électorat un élément de jeunesse dont la force de séduction est quantifiable.

Ne présumons quand même pas que l'ADQ formera le prochain gouvernement. Dans une lutte à trois, bien des imprévus peuvent surgir. Ne présumons pas non plus que les luttes opposeront partout trois formations de poids égal. Ainsi, le Parti libéral, toujours maître de l'électorat anglophone, est menacé dans plusieurs scénarios de compter plus de députés issus de ce Québec que d'élus provenant des comtés francophones. Quand, en effet, le Parti libéral perd quatre points de pourcentage, cela affaiblit non pas ses positions montréalaises, mais ses appuis régionaux. Si ces scénarios se confirment, la baisse globale de popularité libérale transformera le Québec francophone en arène réservée aux affrontements entre l'ADQ et le PQ. Rien n'interdit donc que le Québec sorte du prochain scrutin général dans une situation inédite, c'est-à-dire sans qu'un parti forme un gouvernement majoritaire. Ne pleurons pas d'avance sur cette hypothèse : les gouvernements minoritaires que le Canada a connus à maintes reprises ont été les plus polis de son histoire. Il est vrai qu'à l'époque le NPD penchait clairement à gauche et forçait les gouvernements minoritaires à un minimum d'équité.

S'il est un voeu à formuler à propos de l'ADQ, c'est qu'elle profite de sa nouvelle popularité pour faire ses devoirs. C'était une sottise de la part de Rita Dionne-Marsolais que d'intenter un procès à la jeune génération; c'en serait une autre si la jeune génération se bornait à répéter : « Notre jeunesse est un argument suffisant. » Quand le changement n'ose pas dire son nom ni se justifier, il s'apparente davantage à la démagogie qu'à la transparence. Les approximations de l'ADQ en matière de santé doivent fondre au soleil et céder la place à une réflexion sérieuse et à une évaluation crédible des coûts; ce n'est pas fait. L'ADQ ne peut pas non plus s'en tenir à des élucubrations jovialistes en matière d'éducation. La jeunesse du chef et de son équipe joue et doit jouer en leur faveur; si, cependant, elle devient le seul argument, elle aura démérité. Rappelons-nous d'ailleurs que Mario Dumont, à 32 ans, ne défend déjà plus des thèses qui l'ont tenté au moment où il prenait conseil de gens comme MM. Guitouni et Allaire. Il était jeune et prônait le changement; il est moins jeune et doit justifier le changement.

Belle période sociale, culturelle et politique que celle qui, sans signe avant-coureur, débloque les horizons et élargit le champ des possibles. Des possibilités s'offrent de combler le vide et de guérir la morosité. À condition que les ébranlements récents de nos certitudes provoquent autre chose que les combats de coq ou les mirages trompeurs.

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