Dixit Laurent Laplante, édition du 25 juillet 2002

Démarche saine, calendrier inadéquat
par Laurent Laplante

Même si la saison estivale plonge beaucoup d'entre nous dans l'inaction et même la torpeur, certaines réformes sont si nécessaires que rien, pas même la propension à un certain engourdissement, ne devrait empêcher la réflexion qu'elles réclament de se mettre en branle. C'est le cas de la réforme des institutions démocratiques du Québec. Même s'il est contraire à toutes les prudences politiques d'amorcer ce genre de débat au moment où un gouvernement achève son mandat, il est urgent, en effet, que la démocratie québécoise s'interroge enfin sur ce qu'il faut changer dans ses institutions et qu'elle départage la responsabilité des structures et celle de la nature humaine. Prendre prétexte d'un calendrier inadéquat pour se refuser à la discussion ne ferait que rendre plus improbable une réforme indispensable.

Le document proposé à la réflexion parle, avec une louable ambition, des institutions démocratiques dans leur ensemble et non de changements sectoriels et limités dans tel ou tel mécanisme, comme le mode de scrutin. Oui, la réflexion doit englober l'hypothèse d'un scrutin à la proportionnelle ; non, on n'aura pas touché au coeur du problème si l'on examine seulement cette composante de l'édifice institutionnel. Loin de faire peur, cette décision d'aborder la réforme de façon globale devrait rassurer. C'est, en effet, le seul moyen d'assurer la cohérence du prochain système et, plus encore, d'en fonder toutes les composantes sur les mêmes principes. Changer le mode de scrutin sans vérifier si la nouvelle procédure serait compatible avec l'établissement d'un régime présidentiel, ce serait plonger dans le morcellement et multiplier les difficultés d'arrimage.

Cela dit, le moment choisi pour mettre la consultation en marche amplifie les risques de malentendu. Au même titre que les lois à forte teneur linguistique, c'est au tout début d'un mandat que les délicates auscultations des institutions démocratiques peuvent et doivent débuter. En déclenchant quand même la consultation alors que des élections générales se profilent à l'horizon politique, le ministre responsable de la Réforme des institutions démocratiques, M. Jean-Pierre Charbonneau, s'oblige à d'interminables et peu crédibles justifications. Ce n'est pas sa faute si le gouvernement du Parti québécois, sous M. Bouchard comme sous M. Landry, ont consacré plus d'énergie à encenser la démocratie qu'à en consolider les assises, mais c'est à M. Charbonneau qu'on reprochera de vouloir changer les règles du jeu au milieu de la neuvième manche. Espérons que la société et la classe politique accepteront, en dépit d'un calendrier aussi inadéquat que possible, d'ouvrir un chantier qui ne pourra malheureusement pas entraîner dès le prochain scrutin le rajeunissement éthique de nos institutions. Constatons d'ailleurs, pour le déplorer, que le document déposé par le ministre Charbonneau tient pour acquis un cheminement plutôt étonnant : « La troisième étape du processus proposé découlera directement du calendrier électoral. À partir du sommet du début de l'année prochaine, des choix seront définis et des propositions formulées. Le gouvernement, comme les différents partis politiques, se positionneront alors, de telle sorte que le prochain rendez-vous électoral fournisse l'occasion aux électeurs de se prononcer sur les propositions concernant le modèle de gouvernance qu'ils privilégient ». Pareille conclusion pose plus de questions qu'elle n'en désarme. Qui, en effet, peut prédire quand se produira le prochain scrutin? Pour peu que la maturité démocratique soit au poste, l'ouverture du chantier doit néanmoins se produire.

On aurait apprécié que le document gouvernemental souligne davantage une certaine continuité dans les efforts québécois pour renforcer le caractère démocratique des institutions. Un survol historique plus étoffé aurait souligné un contraste qu'il importe de reconnaître. Pendant un temps, en effet, un Québec un peu honteux de ses moeurs électorales a vaillamment mené son nettoyage. Il a si bien comblé son déficit démocratique que ses institutions ont alors mérité tous les éloges. C'était le premier versant du contraste. Malheureusement, le Québec a vite pensé qu'il avait conquis à jamais le championnat mondial de la transparence et de l'équité et il a fait la sieste sur ses lauriers. L'essouflement et l'autocongratulation ont succédé aux efforts d'assainissement. Nous vivons encore ce deuxième versant du contraste. Le doument aurait gagné à admettre que le Québec, après s'être propulsé dans le peloton des sociétés les plus démocratiques, traîne maintenant de la patte, ainsi qu'en témoignent les tristes législations improvisées récemment au sujet des démarcheurs.

Le document, sur ce terrain historique, aurait également gagné à mieux manifester la contribution des différents régimes en ce qui a trait à l'assainissement des moeurs politiques. Certes, il reconnaît les mérites indéniables de René Lévesque en ce domaine, mais il ne souligne guère la qualité des travaux menés autrefois par Robert Burns en matière de réforme électorale. Le document omet de reconnaître que c'est à Jean-Jacques Bertrand que le Québec doit l'institution du Protecteur du citoyen et qu'il doit à Robert Bourassa l'élimination des comtés protégés. C'est pourtant cette dernière décision, en plaçant enfin toutes les circonscriptions sur un pied d'égalité, qui a rendu possible une carte électorale rationnelle et équitable. C'est mal engager le débat que de laisser entendre que le Parti québécois fut le seul à professer un idéal démocratique.

À juste titre, le document insiste pour que tout, y compris les hypothèses oubliées, fasse partie du débat. On ne lui reprochera donc pas tel ou tel silence. On devra plutôt répondre à son invitation et combler les vides avec audace et rigueur. On devra même, le cas échéant, remettre en question certains des « accents » qui, consciemment ou inconsciemment, marquent le texte. Les auteurs du document, à titre d'exemple, se méfient des régimes hybrides ou à la carte. À leur avis, il est imprudent d'emprunter à divers systèmes. L'histoire américaine fournit pourtant l'exemple d'une constitution construite à partir de divers passés, y compris celui des « bourgs pourris ». De même, le document manifeste plus que de la sympathie pour le système présidentiel à l'américaine, alors même que les beautés de sa structure ne provoquent visiblement pas une participation démocratique valable, ni un respect accrû des droits fondamentaux, ni un meilleur contrôle de l'exécutif par le législatif. Autre exemple, d'omission cette fois, le document est d'un laconisme parfait en ce qui a trait à la sélection des candidates et des candidats. Qui, du chef et des militants, doit avoir le dernier mot? Quiconque croirait qu'il s'agit là d'un aspect bien secondaire de la vie démocratique ferait bien de se souvenir du comté de Mercier : c'est depuis que le premier ministre Bouchard a interdit la candidature d'Yves Michaud dans ce comté que le Parti québécois va de déconfiture en déconfiture...

Je répète, pour éviter tout malentendu, que l'invitation de M. Charbonneau mérite d'être entendue même si elle tombe au mauvais moment et même si le document qui nous la communique est perfectible. Le Québec, qui a déjà montré du courage dans la réforme des institutions démocratiques, accuse aujourd'hui un long temps de retard par rapport à d'atres sociétés. Qu'on en ait pris conscience est revigorant.

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20020725.html

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