Dixit Laurent Laplante, édition du 1er août 2002

Réflexions estivales
par Laurent Laplante

Même si un préjugé paresseux prétend que la pensée doit faire relâche pendant la période estivale et que seuls les loisirs méritent alors un culte, l'actualité, elle, obéit à un calendrier tout autre. Rien ne prouve qu'il soit préférable d'attendre septembre pour prendre conscience des événements de l'été.

D'étranges vacances
Posons la question : est-ce vraiment la trouvaille du siècle que de suspendre les travaux de construction pendant l'une des rares périodes propices à ce métier? Est-ce le masochisme qui nous pousse à encourager l'exode vers les plages plutôt que les sports d'hiver?

Les bruits de bottes
Les rumeurs se multiplient sans se faire convergentes ou précises quant aux intentions américaines à l'égard de l'Irak. Certains scénarios promettent l'attaque contre Saddam Hussein pour les prochains mois sinon pour les prochaines semaines. D'autres concernent plutôt la stratégie. Les plus récents prédisent un assaut contre Bagdad, de manière à déboulonner le régime de Saddam Hussein sans impliquer trop de soldats américains et alliés dans l'aventure. Étrangement, c'est de Londres que proviennent la plupart des renseignements. Les médias londoniens reprochent au premier ministre Tony Blair de se mettre d'avance à la disposition du président Bush et de constituer discrètement un contingent britannique destiné à intervenir aux côtés des Américains. C'est ainsi que les Britanniques se délestent de leurs engagements européens et même de leur mandat en Afghanistan, comme s'ils voulaient accroître leur marge de manoeuvre en prévision d'une attaque contre l'Irak. Comme par hasard, le Canada aussi rapatrie les soldats qu'il avait placés sous commandement américain en Afghanistan. La guerre qui s'annonce n'est quand même pas un sujet suffisamment important pour remplacer la tempéraure dans les conversations.

OMC et triomphalisme
Le ministre canadien Pierre Pettigrew, qui prend souvent ses rêves pour la réalité, a succombé une fois de plus à sa propension triomphaliste. Quand l'OMC a émis des commentaires préliminaires au sujet du bois d'oeuvre, M. Pettigrew a aussitôt crié victoire. Pourtant, l'OMC, qui est d'un laconisme bien peu démocratique et qui se donne rarement le mal d'expliquer sa logique, se borne à dire que les États-Unis n'ont pas fourni la preuve que les droits de coupe constituent une aide inadmissible. « N'ont pas fourni la preuve », cela ne veut pas dire qu'ils ne peuvent pas la fournir, ni qu'ils ne la fourniront pas. Nuances négligeables sans doute, puisque M. Pettigrew clame qu'il a gagné. On se souviendra que le triomphalisme de M. Pettigrew se manifestait avec la même stridence quand Bombardier faisait au mieux match nul avec son concurrent brésilien.

Pendant ce temps, de menaçantes décisions de l'OMC planent au dessus de l'industrie laitière du Canada et surtout du Québec. M. Pettigrew n'y a pas encore vu matière à rodomontades, mais cela ne saurait tarder. Attendons.

Le contentement de Radio-Canada
Après des semaines de lock-out, Radio-Canada a repris ses activités. En remerciant sans fin le public qui s'était ennuyé d'elle. En ne justifiant jamais un lock-out aussi long. En n'expliquant jamais le secret imposé à toutes les parties pendant les négociations. En reprenant là où elle avait laissé, c'est-à-dire dans la recherche de l'écoute et dans le culte de la quantité. En se félicitant d'un accroissement important de ses auditoires. De la part d'une entreprise de communication qui préfère ses sondages maison aux comparaisons de BBM, il faut une certaine arrogance. Sans complexe, le vice-président de la radio française et des nouveaux médias à Radio-Canada, Sylvain Lafrance, coiffe le tout d'un vibrant « Votre vraie radio est de retour ». Certaines personnes étaient sûrement absentes quand la modestie a été distribuée.

Je ne ferai pas l'éloge de la radio privée. Mais je dirai à la direction de Radio-Canada que nous nous sommes ennuyés, oui, mais d'assez peu de choses pendant le disgracieux lock-out. À côté de Sans frontières ou de D'un soleil à l'autre, combien d'insanités, d'entorses au goût et au français, de jugements éditoriaux proférés par des gens qui n'ont pas le commentaire dans leur mandat, combien de nouvelles mal choisies? Combien de prolongations accordées ou offertes à d'anciennes vedettes qui ne savent pas partir? Combien d'intrusions d'un mauvais journalisme d'humeur dans les revues de presse, dans les tribunes téléphoniques? Beaucoup trop et à rythme trop trépidant pour Radio-Canada puisse se vanter sérieusement de respecter plus que quiconque les normes journalistiques les plus élevées. C'est pourtant le genre d'encens que s'envoie Radio-Canada dans son document Renouveler et renforcer Radio-Canada. Nous nous sommes ennuyés d'une toute petite poignée d'émissions, pas de la programmation dans son ensemble ou surtout pas de la complaisance que met Radio-Canada à admirer son nombril. L'automne approche et rien ne nous annonce les virages souhaitables.

Les nouveaux mariages
Un tribunal ontarien a jugé trop restreinte et même inconstitutionnelle la définition traditionnelle du mariage. À côté du mariage unissant un homme et une femme, il faudrait, selon cette décision judiciaire, ménager un espace pour l'union de personnes de même sexe. Même si le nombre de personnes décidées à profiter des nouvelles latitudes semble extrêmement limité, toute la société suit de près cette évolution et il est heureux qu'il en soit ainsi.

Deux réflexions me viennent à ce propos. La première concerne l'union de fait. Dans ce cas, on aura presque attendu pour préciser le cadre légal que le nombre d'unions formées sans le rituel du mariage civil ou religieux dépasse celui des mariages classiques. Des dizaines de milliers d'unions de fait avant que le phénomène soit pris en compte. Je ne me souviens pourtant pas qu'un gouvernement ait investi dans la publicité pour affirmer que l'union de fait manifestait une plus grande maturité de la société québécoise.

Ma deuxième réflexion est sans doute typique de mon conservatisme indéracinable. Je n'ai pas d'objection à ce que la définition du mariage s'assouplisse pour accueillir aussi le mariage homosexuel, mais je me demande s'il s'agit là du terme de l'évolution ou si l'on devra tout à l'heure, au nom de la même permissivité, autoriser par exemple la polygamie et la polyandrie. Si la définition est inconstitutionnelle, à quoi ressemblerait la définition qui réjouirait la constitution? En ce sens, le ministre fédéral de la Justice ne fait que se montrer prudent en posant la question.

Réjouissances prématurées?
Parce qu'une embellie illumine une journée boursière, courtiers et analystes succombent à la tentation de croire la crise terminée. Les moeurs n'ont pourtant pas changé. Les conflits d'intérêts sévissent encore partout, depuis le choix du vérificateur par celui qui paie le vérificateur et l'achat par les courtiers des valeurs dont ils font ensuite la promotion. N'oublions pas, dans la sympathie que nous manifestons pour l'immense « chagrin » des milieux boursiers que des intermédiaires empochent une commission quand ils vous disent de vendre et une autre quand ils vous incitent à racheter. Selon l'adage, on pleure mieux dans une Jaguar que dans une Lada.

Non, je n'ai pas oublié Jean-Paul II. J'y reviendrai.

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20020801.html

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