Dixit Laurent Laplante, édition du 22 août 2002

Un gouvernement déboussolé
par Laurent Laplante

Incapable de sauver ne serait-ce que les apparences, le gouvernement canadien de Jean Chrétien traverse une période de luttes intestines dont les conséquences commencent à se déployer. Certaines sont claires. Il est tragique, par exemple, que le Canada se rende au Sommet de la terre en état de schizophrénie. D'autres corollaires, en revanche, commencent à peine à se profiler. Entre autres retombées malheureuses, le mépris croissant et explicite que s'attire la classe politique de façon générale, mais particulièrement au palier fédéral. Au cynisme de la population canadiennne à l'égard de ses élus s'ajoute l'exaspération de nombreuses capitales étrangères devant les incessants maquignonnages canadiens. Tout cela est imputable, en partie du moins, au fait qu'aucun pouvoir respectable ne s'exprime présentement à Ottawa et que seuls s'annoncent des changements cosmétiques. Dans les circonstances, ce serait un cadeau aussi merveilleux qu'inespéré si le Canada profitait de Johannesbourg pour adhérer vraiment au protocole de Kyoto.

Un gouvernement canadien raisonnablement uni serait-il déjà parvenu à exprimer un avis tranché au sujet du protocole de Kyoto? On pouvait au moins l'espérer. Certes, l'Alberta demeure inflexible dans son opposition, mais le gouvernement central s'était engagé à ratifier le protocole et plusieurs provinces, dont le Québec, le soutenaient dans sa démarche. Le gouvernement de M. Chrétien aurait pu, au moment où il constituait un bloc monolithique, se prononcer avec fermeté et célérité, mais de fins stratèges l'ont convaincu d'attendre et d'adopter un cheminement tortueux. Face aux autres pays, le Canada a quémandé des concessions indéfendables. À l'intérieur de ses frontières, il a justifié son retard à agir par le désir, bien inhabituel dans son cas, de consulter les provinces. Dans les deux cas, cela relevait de calculs peu glorieux : d'un côté, le Canada s'efforçait de se soustraire aux obligations découlant du protocole de Kyoto; de l'autre, le gouvernement central essayait de se concilier le vote des provinces allergiques à ce protocole. Cela manquait de grandeur et de lucidité, mais cela pouvait demeurer accessoire, car, en possession de tous ses moyens et rassemblé autour d'un leader incontesté, le cabinet Chrétien pouvait tenir sa promesse. Pour notre malheur et celui de la planète, les petits calculs ont produit leurs sinistres effets au moment où le gouvernement Chrétien perdait sa cohésion. Au Sommet de la terre, le Canada risque de ne satisfaire personne, pas plus ses citoyens que ceux des pays civilisés.

En effet, ravagé présentement par la dissension et des stratégies plus loufoques les unes que les autres, le cabinet fédéral ne trouve ni l'énergie de régler des questions comme sa position environnementale ni le loisir d'en débattre. Le lobby pétrolier et gazier en profite pour amplifier les doutes, d'ailleurs aidé dans son travail de sape par la farouche opposition américaine au protocole de Kyoto et par les chambres de commerce qui voient des vertus à la pollution.

Que les problèmes internes du parti libéral fédéral contribuent à paralyser les efforts canadiens en matière d'environnement, voilà donc qui est patent. Ce qui l'est tout autant, c'est que Paul Martin porte à cet égard une écrasante responsabilité. Cet homme, qui a toujours reproché à l'indépendantisme québécois d'entretenir l'incertitude et de faire peur aux investisseurs, répand aujourd'hui sans état d'âme le doute et l'instabilité. Par sa faute, le pays bégaie, évite de se mouiller dans les débats fondamentaux, sombre dans un attentisme coûteux et honteux. M. Martin, responsable de ces atermoiements, n'a pourtant jamais prouvé son aptitude à gouverner le pays autrement que M. Chrétien et de meilleure façon. M. Chrétien manifeste un entêtement déshonorant, M. Martin succombe à une ambition qu'il n'a jamais justifiée.

L'environnement, pour important qu'il soit dans le calendrier immédiat, n'est pas le seul dossier frappé de paralysie par le culte libéral de la personnalité. Les coups portés à l'économie canadienne par le protectionnisme américain ne sont analysés, et Dieu sait comment, que par l'inepte ministre Pierre Pettigrew. La demande formulée par Yasser Arafat pour que le Canada presse la Maison blanche de mettre fin à l'occupation israélienne en terre palestinienne reçoit un accueil à peine poli du ministre Manley. Le Canada ne devrait pourtant pas être gêné de demander ce que demande l'ONU. Le cabinet fédéral s'amuse à signer des serments d'allégeance à géométrie variable au lieu de s'intéresser au financement des soins de santé et au dramatique déséquilibre fiscal entre le gouvernement central et les provinces. Même si M. Chrétien mérite toutes les tuiles qui lui tombent dessus et quelques-unes encore, M. Martin ne mérite certes pas notre reconnaissance.

La population ne s'y trompe d'ailleurs pas. Certes, toujours friande de changement, l'opinion, pressée par des médias en quête de manchettes, souhaite le départ de M. Chrétien. Elle semble même, en attendant qu'une course plus équitable à la direction suscite de nouvelles candidatures, s'amouracher de M. Martin. Des mouvements souterrains invitent toutefois à nuancer ces perceptions. D'une part, M. Martin caracole en tête des sondages, mais il use et abuse ainsi du fait qu'il est le seul à mener campagne. Tout risque de se compliquer quand d'autres candidats passeront au crible les choix bien peu sociaux de l'ancien ministre des Finances. À moins que M. Martin propose enfin quelque chose de neuf, de réfléchi, de courageux, l'avance que lui donne son éphémère statut particulier ne lui aura servi qu'à étaler son parfait conformisme et son inquiétante banalité. D'autre part, l'opinion insiste moins sur les mérites de M. Martin que sur les insuffisances de la classe politique. M. Chrétien est sévèrement critiqué parce qu'on le croit motivé uniquement par le désir du pouvoir, mais ceux qui le contestent, M. Martin compris, encourent le même reproche.

Il y a belle lurette que la population tient ses politiciens en piètre estime? C'est vrai. Est-ce une raison pour affronter avec moins d'intelligence que jamais des défis plus grands que jamais?

Post-scriptum : Ce texte a été rédigé avant la déclaration de M. Chrétien hier après-midi. Cette décision impossible à gérer va simplement aggraver la situation que je décris.

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20020822.html

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