ACCUEIL | ARCHIVES | ABONNEMENT | COURRIER | RECHERCHE

Dixit Laurent Laplante
Québec, le 16 septembre 2002

La guerre sans raison

Malgré tout, certains aspects du passage du George Bush à la tribune de l'ONU sont source de contentement. Qu'il ait compris la nécessité de se présenter devant la communauté internationale, qu'il se résigne à voir réapparaître les inspecteurs des Nations-Unies, que Kofi Annan se permette de dire à haute voix que strictement rien ne justifie une attaque contre l'Irak et que, de toutes manières, les États-Unis ne doivent pas se substituer à l'autorité internationale, tout cela démontre que le bon sens conserve encore certains droits. Cela ne contrebalance cependant pas l'évidente mauvaise foi du président américain ni sa partialité à l'égard d'Israël, pas plus que quelques éclairs de bon sens n'autorisent à conclure qu'est écartée la menace d'une guerre illégitime. Ou ce projet guerrier se justifie par des motifs qu'on nous dissimule ou c'est à la psychiâtrie qu'il faut en demander l'origine.

Le président Bush a insisté sur le danger que représente Saddam Hussein en tant que fabricant et utilisateur éventuel d'armes de destruction massive. L'affirmation n'est ni neuve ni étayée, surtout si l'on a à l'esprit l'arme nucléaire. De l'avis général, l'Irak ne possède pas d'arsenal de ce type et il ne pourra pas s'en doter tant que lui fera défaut la matière première. La situation se présente différemment, il est vrai, dans le cas des armes bactériologiques et surtout chimiques. Saddam Hussein a prouvé dans le passé qu'il n'avait pas d'état d'âme à l'idée de stocker et d'utiliser gaz et autres asphyxiants. Les Américains savent d'ailleurs parfaitement à quoi s'en tenir puisque, selon Le Monde diplomatique, une soixantaine de leurs « conseillers » étaient en Irak lors de l'utilisation de ces armes contre l'Iran. On voit mal comment les inspecteurs de l'ONU, dont certains ont été accusés d'espionnage pour le compte des États-Unis, auraient pu ne pas s'intéresser aux usines de fabrication de ces armes. Si, bien sûr, Saddam Hussein s'était entêté à les produire. Le New York Times, plus entiché que jamais de l'administration Bush, a d'ailleurs reconnu cette présence en Irak de conseillers américains en 1988 tout en s'efforçant de justifier leur silence. Informés de l'utilisation de gaz - interdits par la Convention de Genève - ces conseillers américains ne s'y opposèrent pas, dit le journal, « car ils pensaient que l'Irak luttait pour sa survie ». Raisonnement qui en dit long sur les scrupules américains.

Un petit coup sur la carte de cette partie du monde mettra d'ailleurs en lumière une évidence : si Saddam Hussein parvenait à se doter de l'arme nucléaire, il rejoindrait tout simplement un club atomique régional déjà formé d'Israël, du Pakistan, de l'Inde... Tous pays auxquels M. Bush ne reproche rien.

L'absence totale de preuves incriminant l'Irak est d'autant plus troublante que la diplomatie anglo-américaine fait jouer ces jours-ci un rôle clairement politique à des organismes qui se cantonnent normalement dans des activités d'inventaire. Ainsi, l'Institut international d'études stratégiques, par la bouche de son président, François Heisbourg, s'empresse de convertir son plus récent rapport en plan d'action : d'après lui, le comportement de Saddam Hussein face aux résolutions de l'ONU « mérite pour le moins une action déterminée du Conseil de sécurité pour obtenir l'envoi de missions " musclées " d'inspecteurs permettant d'assurer le respect par Bagdad de ses obligations internationales ». Quand les comptables censés dénombrer les ogives nucléaires et les blindés poussent aussi gentiment les généraux dans le dos, la comptabilité cesse de constituer une science sereinement exacte et neutre. Et pourtant cela ne suffit pas à produire des preuves.

Autre aspect important de son intervention, M. Bush a synchronisé son appel à la solidarité internationale avec l'anniversaire des attentats perpétrés en sol américain, de manière à relier l'une à l'autre dans l'imaginaire populaire la tragédie de septembre et le dictateur irakien. Là encore, la preuve d'une collusion entre l'Irak et le réseau de ben Laden fait totalement défaut : malgré les efforts acharnés déployés depuis un an, rien ne rattache l'Irak à la destruction des tours du World Trade Center. Cela, même le très discret secrétaire général Kofi Annan le reconnaît et l'affirme.

Le président américain s'est efforcé, d'autre part, d'insuffler un nouveau courage à l'ONU. Selon M. Bush, l'ONU devrait se sentir humiliée chaque fois que Saddam Hussein refuse d'obtempérer aux ordres de la communauté internationale. Il lui est d'ailleurs facile de multiplier les exemples d'une délinquance irakienne caractérisée. Le problème, c'est que M. Bush n'interprète pas avec la même logique les innombrables rouspétances israéliennes. Il ne se souvient pas qu'Israël a résisté et résiste encore aux résolutions de l'ONU lui intimant l'ordre de quitter le sol palestinien. Il ne se souvient pas d'avoir vainement jeté le poids des États-Unis du côté de cette résolution ni d'avoir exposé sa « vision » d'un État palestinien s'épanouissant à côté de l'autre. Saddam Hussein a tort d'ignorer les résolutions de l'ONU, mais d'autres commettent à répétition le même péché. Le pire, c'est que M. Bush lui-même placera les États-Unis dans la même situation s'il lance contre l'Irak une offensive américaine que désapprouve la communauté internationale. Le plaidoyer de M. Bush en faveur de l'ONU serait plus émouvant s'il tenait la balance égale entre, d'une part, Saddam Hussein et, d'autre part, Israël. La Maison blanche convaincrait davantage si elle collaborait sans réserve à la création de la Cour pénale internationale, si elle mettait fin à la fabrication et au commerce des mines antipersonnel responsables de 8 000 morts cette année seulement, si une découverte de la solidarité internationale lui faisait accepter le protocole de Kyoto.

Deux mystères, l'un réconfortant, l'autre déprimant, persistent au lendemain du discours du président américain. Le premier concerne Kofi Annan, le second Tony Blair.

La surprise causée par le discours du secrétaire général de l'ONU est de celles qu'on aimerait éprouver plus souvent. C'est, en tout cas, de ce personnage que la communauté internationale et les citoyens de partout attendent la référence ultime. Il entend bruits et rumeurs, interroge librement quiconque semble en possession d'une information vitale, fonde sa réflexion et son opinion sur les relevés et analyses de réseaux polyvalents. S'il parle, c'est en connaissance de cause. En contredisant ouvertement le président américain, Kofi Annan invalidait donc courageusement et point par point le plaidoyer guerrier des États-Unis et démontrait qu'on peut s'opposer au projet de M. Bush sans verser dans l'antiaméricanisme primaire.

Je n'en dirais pas autant de Tony Blair dont la servilité étonne et scandalise. Depuis un an, M. Blair a tout essayé. Il a demandé l'acte de foi : puisqu'il avait vu, de ses yeux vu, les preuves de l'insondable méchanceté de Saddam Hussein, on devait le suivre de confiance. Comme cela n'a pas fait disparaître le scepticisme, M. Blair a ensuite affirmé que le temps était venu de rendre publiques les preuves dont il avait pris connaissance. Mais rien n'a suivi. M. Blair avait apporté lors de son accession au pouvoir un vent de fraicheur et de réalisme; il y a substitué depuis une servilité dont il semble le seul à ne pas rougir.

Alors? Pourquoi cette guerre? Pas pour protéger la planète. Pas pour punir Saddam Hussein d'une participation aux attenats de 2001. Pas pour redonner du prestige à l'ONU. Que reste-t-il? L'éternel pétrole et l'élimination de tous les pouvoirs qui peuvent, dans cette partie du monde, porter ombrage à Israël.

Anne, ma soeur Anne, vois-tu autre chose?

RÉFÉRENCES :


Imprimer ce texte



ACCUEIL | ARCHIVES | ABONNEMENT | COURRIER | RECHERCHE

© Laurent Laplante et les Éditions Cybérie