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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 3 octobre 2002

Une pause de quarante jours

La chronique Dixit a eu trois ans le 30 septembre. Trois cents textes et quelques milliers d'hyperliens plus loin, une pause et un bilan critique ne sont pas seulement légitimes. Ils constituent à eux deux un devoir. La pause durera, comme toute bonne mise en quarantaine, quarante jours; le bilan sera celui que dictera le recul. Quarante jours pour décider si la formule doit subir des modifications, peut-être aussi pour l'abandonner avant que sévisse la sclérose. Commentaires et suggestions contribueront à la fécondité et à la rigueur de l'exercice.

1. Dans mon esprit, Dixit dépend, plus encore que de ma rédaction, du travail qu'effectue Mychelle Tremblay en amont et en aval des chroniques. En amont, en attirant mon attention sur une large diversité de documents et de textes journalistiques; en aval, en fournissant la liste des sources dont je me suis servi et qui révèlent les fondements de mon argumentation. Bien des lecteurs m'ont fait savoir, certains sur le ton ironique qu'autorise l'amitié, qu'ils tenaient aux hyperliens plus qu'à ma prose... Étant un très mauvais « navigateur », je ne saurais me passer d'un tel soutien. Si Dixit reprend ou se transforme après sa quarantaine, une telle collaboration devra intervenir encore.

2. Pour divers motifs, j'ai insisté davantage sur les affaires internationales plus que sur l'activité politique québécoise ou canadienne. Le public que rejoint Dixit à l'étranger s'y retrouve plus aisément. D'autre part, les lecteurs québécois reçoivent beaucoup trop peu d'information et d'analyse sur les questions internationales. Reste à savoir si le dosage est le bon.

3. Le recours à une éclipse périodique et plus ou moins longue fait partie, à tort ou à raison, de mes moeurs d'essayiste. Ma vie durant, j'ai alterné les périodes où l'activité de commentateur occupait tout mon temps avec des emplois limitant à presque rien le travail d'écriture journalistique. Quelques années de commentaire, puis une éclipse. Cela, pour le motif suivant. Avec les conséquences que comporte ce choix, je m'efforce d'argumenter à partir de valeurs et de convictions. Il en résulte plusieurs risques : celui de la monotonie, de la redite, du ton moralisant. Je n'ai pourtant guère le choix, car analyser un événement sans le relier à des valeurs et à des convictions ne correspondrait pas à mon tempérament ni, me semble-t-il, aux urgences d'aujourd'hui. Je dois donc, au risque de lasser, revenir toujours vers trois ou quatre ancrages, toujours les mêmes. Pas davantage. On s'illusionne, en tout cas, si l'on croit qu'un analyste invente dix ou quinze nouveaux angles d'attaque par année. Chacun vit pour un tout petit nombre de raisons, chacun défend deux ou trois principes.

Au bout de quelques années comme commentateur, à la radio ou dans la presse écrite, je me suis donc toujours éclipsé. Je mettais la plume au sec, du moins dans sa manifestion publique, et je me plongeais pendant deux, trois ou quatre ans, dans les communications, la justice, l'éducation, l'enseignement... Quand je revenais à l'écriture journalistique, la plume écrivait autrement, car les valeurs avaient affronté d'autres contextes.

4. On aura compris la différence entre le commentateur et le nouvelliste. L'un n'est pas supérieur à l'autre, mais les deux utilisent un matériau différent. Le reporter est constamment renouvelé par l'événement, tandis que l'analyste doit, quel que soit l'événement, en scruter la signification et en dégager le lien avec les grands enjeux, c'est-à-dire avec les valeurs. L'un est confronté au nouveau, au différent, à l'inédit; l'autre cherche le substrat permanent, le sens caché, presque la nature humaine dans sa permanence. Des reporters de grand calibre peuvent ainsi mener une carrière de plusieurs décennies sans discontinuité, tandis que l'analyste risque fort, au bout de quelques années, d'être terriblement « prévisible » et ennuyeux. On regarde le titre, puis la signature, on imagine sans peine ce qu'il y a entre les deux et on se dispense de la lecture. Je joue ce sale tour aux autres commentateurs, mais je n'aime pas qu'on me le serve. Et j'essaie de prendre du champ avant d'être prévisible jusqu'à l'ennui.

5. La cadence de mise en ligne revêt une importance particulière dans le type de journalisme que nous essayons d'offrir. Le journalisme d'humeur, et Dieu sait s'il sévit présentement, s'accommode aisément des échéances rapprochées et brusquées. On lui demande une réaction à chaud, non l'approfondissement. Consulter des sources, mettre à contribution la mémoire des archives et de la littérature, multiplier les éclairages, voilà qui demande du temps et qui expose au déphasage. D'autre part, il est de commune renommée que le public tient à ses habitudes. Si sa station de radio lui a promis les prévisions météorologiques dès le début de son émission, l'auditeur fulmine contre l'animateur qui déverse ses états d'âme et en oublie de fournir les informations attendues. Madame Tremblay et moi avons donc tenu à respecter scrupuleusement nos échéances du lundi et du jeudi matin. Dans certains cas, les Dixit arrivaient trop tard pour alimenter vraiment le débat. Nous nous sentons alors comme les rédacteurs de magazines. Devrions-nous modifier la périodicité? Devrions-nous mettre un texte en ligne aussitôt qu'il est rédigé? À ce stade, je ne le crois pas, mais c'est à ce type de questions que doit répondre la quarantaine.

6. J'espère qu'on aura compris que ce travail, autant de la part de madame Tremblay que de la mienne, est entièrement bénévole. Je le dis non pour attirer la pitié ou je ne sais quel sentiment, mais pour qu'on sache que nous n'avons aucune dette à l'égard de qui que ce soit et que nous ne défendons que nos convictions. Ce bénévolat est si exigeant, cependant, qu'il doit être certain de son utilité.

De retour vers le 10 novembre avec des piles rechargées ou, à défaut de ce renouvellement, un mot d'adieu.

Laurent Laplante


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© Laurent Laplante et les Éditions Cybérie