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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 28 novembre 2002

Kyoto et la constitution canadienne

Qu'il soit permis d'esquisser un sourire en entendant le premier ministre de l'Alberta, Ralph Klein, jongler avec l'hypothèse d'un recours aux tribunaux pour établir l'inconstitutionnalité de la politique fédérale à propos du protocole de Kyoto. Depuis longtemps, en effet, le cercle des politiciens au pragmatisme autoproclamé, dont fait d'emblée parti M. Klein, ridiculise les fumeuses préoccupations constitutionnelles du Québec et leur préfère les solides analyses financières et industrielles. Ne ridiculisons pourtant pas avec trop d'insistance cet intérêt subit de M. Klein pour des textes qui ne l'ont jamais intéressé, car le Québec ne gagne rien à encourager, même pour une bonne cause, les incursions fédérales dans les domaines constitutionnellement réservés aux provinces. Mieux vaudrait chercher ensemble à réconcilier les exigences de l'environnement et l'équilibre de nos institutions démocratiques.

Pensons un instant à l'éducation et même à la culture. Le Québec, que la constitution reconnaît comme le seul responsable de l'éducation de sa population, n'en finit plus de défendre cette autonomie théorique contre les intrusions fédérales. Depuis l'époque Trudeau, dont les intransigeances persistent grâce aux entêtements de MM. Chrétien et Dion, le Québec est constamment repoussé vers ses ultimes retranchements dès qu'il s'agit de dialoguer avec l'étranger dans des domaines pourtant dévolus aux provinces. Qu'on pense aux guérillas vicieuses menées par Ottawa contre la présence québécoise dans les carrefours internationaux consacrés à l'éducation. Qu'on pense également à ce sommet de la francophonie que le gouvernement canadien a tenu à Moncton, une Moncton dont le nom rappelle en toute bonne conscience la déportation des Acadiens et qui a élu il n'y a pas si longtemps un maire voué à l'unilinguisme anglais. Dans chacun de ces cas, le Québec a vainement tenté de faire comprendre au gouvernement central que le partage constitutionnel des responsabilités entre les divers paliers de gouvernement devait se refléter à l'extérieur du territoire. De tels rappels devraient faire comprendre que les attitudes fédérales dont se plaint Ralph Klein ressemblent à celles dont le Québec a souvent eu à souffrir.

Insistons. Le Québec s'est senti lésé quand le gouvernement central est intervenu pesamment pour empêcher qu'un premier ministre québécois entre en contact avec des chefs d'État d'Amérique latine. Le Québec s'est senti humilié quand le gouvernement central lui a interdit l'accès au Sommet des Amériques qui se tenait pourtant dans sa capitale, tout en permettant aux magnats de l'industrie et de la finance du Canada de frayer (contre publicité) avec les chefs d'État étrangers. Par contre, le Québec a beaucoup déplu aux îlots francophones du reste du Canada quand il s'est opposé devant les tribunaux à la volonté fédérale de défendre les francophones contre les gouvernements provinciaux du Canada anglais. À vol d'oiseau, il était évidemment honteux de la part du Québec de combattre l'aide fédérale aux " francophones hors Québec "; en bonne logique constitutionnelle, il était pourtant normal, tristement normal, que le Québec conteste au gouvernement central le droit de jouer à Robin des bois dans des domaines qui ne relèvent pas de lui.

Prudence par conséquent. Il n'y a pas matière à réjouissances débridées quant le gouvernement central du Canada, pour une cause aussi louable que celle de l'environnement et du protocole de Kyoto, pousse en touche l'Alberta ou Terre-Neuve. L'histoire politique regorge d'exemples de bonnes causes défendues par des moyens répugnants et par des rastaquouères aux motifs tordus.

Cela dit, sous peine de voir le Canada se conduire aussi mal en matière d'environnement qu'à propos de son autonomie ou de l'éthique politique, il faut, n'en déplaise aux provinces réfractaires, inciter le gouvernement central à approuver le protocole de Kyoto tel qu'il subsiste, sans tenter de l'édulcorer une autre fois. Réaffirmer cet objectif est urgent et indispensable, car la situation, que l'on savait confuse, ressemble désormais à un nid de vipères. Les partis d'opposition appliquent une stratégie d'obstruction stérile et équivoque. On ne sait plus s'ils s'opposent au protocole ou si, au contraire, ils veulent empêcher le gouvernement Chrétien d'embellir son bilan par une décision glorieuse. L'aspirant à la direction du parti libéral fédéral, Paul Martin, de peur de déplaire à l'ombre de son ombre, s'asseoit entre deux chaises et conseille d'attendre que se dégage un consensus qui, bien sûr, ne viendra jamais. Même les provinces qui, comme le Québec, tiennent à la ratification, boudent les rencontres qu'organise le gouvernement central pour y faire valoir son point de vue. Ces cafouillages font oublier l'essentiel.

Sérions donc les questions et les responsabilités. La ratification du protocole, dans l'état actuel de la constitution, relève du gouvernement central. En revanche, le plan qui conduira au respect du protocole devrait faire l'objet de négociations entre le gouvernement central et les provinces touchées par l'engagement fédéral. Point n'est besoin de confondre comme on le fait présentement la ratification et l'élaboration d'un plan. Point n'est besoin non plus de faire croire que le pouvoir de ratification confère au gouvernement central l'emprise sur les ressources naturelles. Par la ratification, le gouvernement central acceptera, au nom du Canada, de réduire ses émissions de gaz à effet de serre dans la mesure définie par les accords internationaux. La ratification effectuée, le vrai travail commencera. Que le Canada s'astreigne à réduire de 6 pour cent ses émissions polluantes avant une échéance précise, cela ne dit rien de la répartition des sacrifices ni ne précise sur quel front portera l'effort prioritaire. On pourrait frapper d'une taxe particulière l'achat de cylindrées polluantes, tout comme on pourrait exiger de l'ensemble des entreprises l'acquisition de systèmes de chauffage ou de climatisation plus économes ou traiter les produits pétroliers selon une fiscalité radicalement alourdie. On entre là dans l'ordre des moyens et ces moyens, contrairement à la ratification, sont négociables. D'une manière ou de l'autre, il faudra payer un peu plus, consommer différemment, assumer de nouveaux frais d'exploitation. Cela, cependant, ne concerne plus la ratification, mais la stratégie devant conduire au respect de l'engagement canadien. Cette stratégie ne doit pas être considérée comme un fief fédéral.

Je crains que le débat enclenché aux Communes ne confonde les deux enjeux. On ne sait plus, en raison de cette confusion, qui accepte la ratification ni qui s'y oppose, pas plus qu'on ne sait sur quel aspect du plan portent les réticences. Il devrait pourtant être possible de ratifier le protocole, puis, une fois payé ce tribut au mieux-être de la planète, de négocier entre Canadiens la stratégie devant assurer le respect de nos engagements. Au gouvernement central incombe la tâche de ratifier le protocole; aux provinces de défendre ensuite leurs responsabilités en matière de richesses naturelles. Pareille répartition des responsabilités devrait être toute naturelle dans un véritable fédéralisme. En prétendant régenter à la fois la ratification du protocole de Kyoto et les modalités de sa mise en oeuvre, le gouvernement Chrétien outrepasse ses responsabilités et braque inutilement les provinces, y compris les mieux disposées, comme le Québec.

Laurent Laplante
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