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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 9 janvier 2003

Pourquoi la droite?

En choisissant Mario Dumont, chef de l'Action démocratique du Québec (ADQ), comme homme de l'année 2002, il se peut que les rédacteurs d'éphémérides n'aient voulu, comme d'habitude, que masquer les congés et les absences des journalistes. Dans cette hypothèse, ils auront fourni un indice de plus de la paresse et de l'hypocrisie qui menacent tant de médias. S'il n'y a personne pour recueillir et traiter l'information, pourquoi faire croire, à grands renforts de rappels servis à l'état brut et d'effeuillages du calendrier périmé, que l'information est toujours au poste?

Il existe, cependant, des hypothèses plus désagréables encore et que ma paranoïa bien connue ne veut pas ignorer. On peut, en effet, interpréter ce choix comme un bel effort de la droite pour redonner de la vigueur à un parti qui montre des signes d'essoufflement avant d'avoir vraiment couru. L'accusation est à peine excessive, tant il est vrai que, dans l'hémisphère nord, la droite ne manque aujourd'hui ni d'appuis ni de relais. Tant il est vrai également que Mario Dumont, en terre québécoise, tient des propos susceptibles de plaire à un grand nombre. Ne le considérons donc pas comme neutralisé et ne sous-estimons pas ses lieutenants.

Essayons plutôt, pour fin de sérénité, de circonscrire l'enjeu. Ce sera un effort en bonne partie stérile, puisque ceux qui ont déjà adopté les thèses de l'ADQ me jugeront évidemment peu objectif. Ils auront d'ailleurs raison : je ne le suis pas et personne ne l'est.

Pour plusieurs, ces notions de droite et de gauche ne correspondent à rien, du moins pas sous nos latitudes. Selon ceux-là, peut-être l'Europe tient-elle compte aujourd'hui encore de ce clivage anachronique et peut-être peut-on, en Amérique du Sud, ranger la plèbe à gauche et les possédants à droite. Mais ce vocabulaire, insiste-t-on, ne signifie rien au Canada ou au Québec. Cela ne me satisfait pas. Autant il est difficile de définir rigoureusement la gauche et la droite, autant, en effet, il m'apparaît qu'une différence fondamentale sépare les deux nébuleuses. Ce n'est pas parce que les trois principaux partis politiques du Québec naviguent surtout à droite et que le front gauche est dégarni que cette différence est abolie. À gauche, la collectivité et le bien commun importent davantage, avec le risque souvent vérifié que la collectivité restreigne indûment les libertés et s'abandonne à une bureaucratie enivrée de ses normes; à droite, on mise sur l'individu et ses capacités créatrices, dans l'espoir de favoriser l'initiative et au risque de laisser l'égoïsme maintenir et aggraver les disparités sociales. Entre les versions extrêmes de ces tendances, on trouvera, bien sûr, de savants dégradés et de subtils accommodements entre, selon les convictions de chacun, les propositions du diable et celles de la vertu.

On aura compris que, théoriquement du moins, aucune des deux familles idéologiques ne mérite l'anathème. L'honnêteté peut fleurir dans les deux camps et Mauriac et Camus, tout en divergeant, se respectaient. Cela dit, l'égalité théorique résiste mal à deux tests concrets. D'une part, la nature humaine étant ce qu'elle est, l'embourgeoisement survient plus fréquemment que la radicalisation, du moins par temps calme. André Laurendeau avait substantiellement raison d'affirmer que « on naît à gauche et on meurt à droite », signifiant par là qu'on devient volontiers conservateur quand on a accumulé du bien à conserver et que l'âge hypertrophie la prudence. C'est de la gauche que proviendront les audaces. D'autre part, l'aggravation actuelle des disparités sociales et économiques plaide vigoureusement, me semble-t-il, en faveur des générosités dont la gauche est capable. La loi du marché que préconise la droite se soucie assez peu des dénuements qui se propagent. Quand l'écart s'élargit entre pauvres et riches, c'est à gauche qu'on trouvera la volonté de réduire les inégalités et les injustices. Également méritants en théorie, les programmes de la gauche et de la droite ne subissent pas avec le même bonheur l'épreuve du réel.

Dans le contexte actuel, il n'est cependant pas si facile de départager droite et gauche. Surtout quand les gouvernements se font et se défont en peu d'années, il est inévitable que des formules chères à la gauche survivent à un ou deux mandats conservateurs, et vice versa. L'impôt sur le revenu, peu prisé à droite, traverse quand même les décennies. Et ce n'est pas toujours la droite, la France est là pour en témoigner, qui privatise ce qui était nationalisé. L'actuel gouvernement québécois a souvent tenu un discours de gauche tout en pressant les transnationales sur son coeur. Le Parti libéral du Québec, de son côté, flatte l'entreprise privée, mais proteste vertueusement chaque fois qu'on lui prête l'intention de pousser le Québec vers une médecine à deux vitesses. Les purs et durs ne pullulent ni d'un côté de la barricade ni de l'autre. Du moins jusqu'à ce qu'on examine l'ADQ.

Car, malgré ces nuances et même si l'exercice du pouvoir pourrait tempérer ses ardeurs, l'Action démocratique du Québec (ADQ) incarne presque à l'état pur la pensée de droite. Ses positions tranchées risquent d'ailleurs de ne pas évoluer beaucoup, car ce sont elles qui, par leur simplisme, lui ont valu la popularité. En matière de fiscalité, l'ADQ préconise un taux unique d'imposition, ce qui serait une injustice. L'idée séduit par sa clarté; elle serait une arnaque perpétrée contre les plus pauvres. En matière d'éducation, l'ADQ semble croire à la viabilité d'un système fondé sur la remise aux parents des montants aujourd'hui versés aux commissions scolaires et aux établissements. Un examen même superficiel fera comprendre que l'anarchie guette la collectivité dont les écoles ignoreraient, jusqu'à la veille de la rentrée scolaire, le nombre d'enfants qu'on leur confiera. En matière de santé, ce que propose l'ADQ conduit tout droit à la dégradation d'un régime accessible à tous et égal pour tous. Tout comme l'idée de confier à des régies régionales la tâche de négocier la rémunération des médecins serait un remède pire que le mal. En somme, même dans un climat de libéralisme économique et d'individualisme virulent, l'ADQ pousse le bouchon trop loin.

Et c'est dommage! Car des changements s'imposent qui requièrent inventivité et énergie, vertus motrices qu'on trouve en bien petite quantité dans les autres équipes politiques. De mauvaises habitudes y ont agi comme des sédimentations étouffantes. L'exercice ou la proximité du pouvoir ont homogénéisé la classe politicienne et l'ont rendue tristement ronronnante. Conseillers et stratèges sévissent partout et substituent le calcul à la pensée politique. À se demander, comme le fait l'ADQ, s'il est possible de verser du vin neuf dans des outres vieilles. D'ailleurs, ce dessèchement ne concerne pas seulement le Parti québécois et le Parti libéral, mais une bonne partie du secteur parapublic et même le monde syndical. Les entreprises dites (à l'anglaise) d'utilité publique ressemblent, jusque dans leurs sièges sociaux et leur publicité, à des firmes privées plus qu'à d'authentiques services publics. Par ailleurs, il faudrait une bonne dose d'imagination pour percevoir l'UPA (Union des producteurs agricoles) comme une force sociale ancrée à gauche. Un peu partout, on gère les acquis, on défend le territoire conquis et on se croit de gauche dès qu'on peut trouver quelqu'un à sa droite.

Oui, c'est dommage que l'ADQ, dont les diagnostics sont souvent défendables, cherche le traitement sur le versant le plus glacial et le plus encombré de l'échiquier politique.

Laurent Laplante

P.S. On me suggère de traiter du clonage. J'hésite, car je n'ai aucune sympathie pour la fumisterie raélienne et je craindrais de contribuer à sa propagation. D'autre part, le principe même du clonage me hérisse tellement que je considère comme un début de tragédie la banalisation de ce type de recherche.

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