Dixit Laurent Laplante, édition du 5 mai 2003

Pourquoi un plan que l'on sait inutile?

Même les journalistes, qui sont pourtant assez enclins à préférer les belles formules aux constats plats et factuels, éprouvent certaines difficultés à renouveler leurs clichés au sujet du conflit israéo-palestinien. L'un, à partir d'on ne sait quoi, persiste à évoquer la reprise d'un « processus de paix » au Proche-Orient, même si rien qui y ressemble n'ait levé de terre depuis Oslo. L'autre, au contraire, revient pour la énième fois sur l'escalade de la violence, même si on voit mal quel neuf l'horreur aurait inventé récemment au coeur de ce drame. Toujours généreuse en formules alambiquées, la diplomatie vient à la rescousse des médias en proposant rien de moins qu'un « itinéraire vers la paix », une « feuille de route » censément transmise par une colombe. Chacun, pourtant, sait la futilité de l'exercice. Le seul élément mystérieux dans cette déprimante comédie, c'est qu'on éprouve le besoin de nous la jouer : on tient à nous faire croire que tout a été mis en oeuvre. Pourquoi?

Soyons sans illusion : ce que l'inexistant quatuor propose à Israël et aux Palestiniens à partir d'un texte américain ne se traduira pas en actes. Il n'y aura pas, au flanc d'un État d'Israël vivant en sécurité à l'intérieur de ses frontières, un État palestinien autonome et viable. Il n'y aura pas moratoire dans l'expansion israélienne en territoire palestinien. L'armée israélienne ne cessera pas d'agir en armée d'occupation partout où il lui plaît de réviser à la baisse le droit des Palestiniens au minimum vital de sécurité et de dignité. Il n'y aura pas non plus de suspension des attentats perpétrés par la résistance palestinienne partout où elle peut prendre en défaut la vigilance israélienne. Dès maintenant on peut prévoir que l'horizon de 2005 sera atteint avant que la phase 1 connaisse l'ombre du commencement de l'embryon d'un soupçon de velléité de réalisation.

Pourquoi ce pessimisme? Parce que des absolus se heurtent. D'un côté, le gouvernement d'Ariel Sharon dépend du bon vouloir d'extrémistes religieux braqués sur des revendications immuables. De l'autre, des groupes extrémistes considèrent comme un devoir sacré la lutte armée contre Israël. Pour rendre l'impasse encore plus étanche, le gouvernement Sharon s'arroge le droit de ne poser un geste d'apaisement que si les Palestiniens commencent par s'agenouiller. Compter sur lui pour « accompagner » les premiers apaisements offerts par les Palestiniens, c'est se moquer. Si d'ailleurs le passé éclaire un peu le futur, on doit prévoir qu'un agenouillement des Palestiniens ne provoquerait chez Sharon qu'un gonflement des exigences. Il fut un temps où il promettait la négociation pour peu que les Palestiniens s'abstiennent de violence pendant une semaine. Comme certaines accalmies ont largement débordé ce minimum, Sharon a enterré l'engagement et on a imposé à Arafat une camisole de force. Pendant ce temps, Israël poursuivait et poursuit d'ailleurs toujours ses annexions illégales. Maintenant qu'on a substantiellement rogné les prérogatives d'Arafat, c'est au nouveau gouvernement palestinien qu'on inflige les blâmes. Se sachant en position de force, Sharon promet le moins possible et ne se sent lié que par ses promesses de vengeance. Le reste est poudre aux yeux.

Croire qu'un dialogue peut un jour impliquer Sharon, c'est croire au Père Noël. Point n'est besoin de se dévoyer dans l'antisémitisme pour l'affirmer, car Sharon lui-même a dissipé tous les doutes. Jamais il ne serrera la main d'Arafat; depuis toujours, il veille à ce que l'occupation du territoire palestinien soit irréversible.

Il n'est pas davantage possible de prendre au sérieux le quatuor qui prétend rapprocher les parties. Kofi Annan n'est aux yeux d'Israël et des États-Unis qu'une potiche encombrante. Que peut-il faire dans cette galère sinon rappeler, au risque de faire rigoler Israéliens et Étasuniens, que l'ONU a archivé une brassée de résolutions applicables au Proche-Orient et ignorées par Israël? L'Union européenne, qui cherche nerveusement à faire oublier ses audaces récentes au Conseil de sécurité, ne va certes pas contredire la lecture que le président Bush donne de la réalité. Quant à la Russie, elle pèse dans ce débat aussi lourd qu'elle a pesé dans l'affrontement à propos de l'Irak, c'est-à-dire à peu près rien. Autant dire que les États-Unis ont rédigé seuls l'itinéraire pour la paix. Autant dire, quand on sait l'osmose qui agit entre Israël et la Maison blanche, qu'Israël a eu tout loisir de faire amender un plan qu'on prétendait intangible.

La question - pourquoi? - demeure donc la même, mais elle vise désormais les seuls vrais pouvoirs impliqués dans cette pseudo-relance du processus de paix : Israël et les États-Unis. Pourquoi ceux qui contrôlent tout éprouvent-ils le besoin de présenter un plan qu'ils savent voué à l'échec? Il n'est qu'une réponse à cette question : les deux associés ont besoin de l'échec appréhendé. En ont-ils besoin pour apaiser une opinion mondiale forcément apitoyée par le sort des Palestiniens? Pas vraiment. L'agression contre l'Irak a amplement démontré que la communauté internationale n'assume même pas le rôle d'une figurante dans les scénarios concoctés par les mégalomanes qui conseillent la Maison blanche. Israël et les États-Unis n'ont besoin d'un nouvel échec à propos du Proche-Orient que pour passer plus vite et plus brutalement à l'exécution de leur propre plan. Or, ce plan n'a rien de pacifique et la Palestine n'y remplit qu'un rôle accessoire. Il faut que l'itinéraire vers la paix avorte pour que s'effectue le réaménagement régional que souhaitent les États-Unis et Israël.

Les autres hypothèses, en effet, ne tiennent pas la route. Le plan est d'ailleurs aménagé de manière à ce que l'échec soit assuré, rapidement constaté, propice à l'enterrement de toutes les négociations pensables. Le moratoire sur la construction illégale de nouvelles colonies israéliennes en sol palestinien n'est plus un préalable, comme le souhaitait le rapport Mitchell, mais une mesure qui viendra en son temps. D'ici à ce qu'Israël y consente, c'est-à-dire jamais, les Palestiniens seront quotidiennement dépouillés de leur sol, agressés dans leurs valeurs les plus intimes et incités délibérément à la violence. Certains d'entre eux y recourront et le tour sera joué. MM. Bush et Sharon, l'air contrit, déclareront qu'ils ont la conscience en paix, mais qu'il faut passer à autre chose.

Cette autre chose, voilà probablement le véritable objectif d'un plan évidemment promis l'échec.

Laurent Laplante

Des vers me reviennent en mémoire. Ils proviennent du songe de Pauline dans Polyeucte de Corneille et décrivent Sévère en vainqueur glorieux :

Il était triomphant et tel que sur son char
Victorieux dans Rome entre notre César.

Sévère, en effet, n'avait pas de porte-avion.

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URL : http://www.cyberie.qc.ca/dixit/20030505.html

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