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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 22 septembre 2003

Les écueils démocrates

N'en déplaise aux chefs des partis d'opposition, il est fréquent qu'un gouvernement soit vaincu par ses propres sottises plutôt qu'abattu par les aspirants aux pouvoirs. Tout comme il est fréquent que les impairs des partis d'opposition procurent une survie à un gouvernement indésirable. Cela devrait inciter à l'humilité. En ce qui touche à la prochaine élection présidentielle américaine, une telle modestie rendrait de grands services à la dizaine de candidats démocrates. Au rythme où vont les choses, le risque est grand de voir George Bush obtenir un renouvellement de mandat non pas en raison de ses inexistants mérites personnels, mais à cause des difficultés que les démocrates jettent eux-mêmes sur leur parcours. Trois dossiers illustrent déjà éloquemment ces écueils : l'occupation de l'Irak, la relation avec Israël, la restauration du cadre social et judiciaire.

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L'entrée en scène du spectaculaire Wesley Clark dans la course vers la candidature démocrate s'est faite sous le signe de l'équivoque et de l'amnésie sélective. D'une part, le monsieur vise peut-être autre chose que le poste dont il parle. D'autre part, ses relationnistes succombent déjà presque autant que les conseillers de George W. Bush à la tentation de réécrire l'histoire et de prendre des libertés avec les faits.

À peine Wesley Clark avait-il annoncé officiellement une candidature dont il entretenait lui-même la rumeur depuis des semaines, que les supputations ont jeté à l'avant-scène l'hypothèse d'un tandem Dean-Clark limitant les ambitions de Clark à la vice-présidence. On sous-entend du même coup que Dean s'occuperait du versant politique et que Clark servirait surtout à contrer l'insistance du républicain George Bush sur la sécurité. L'hypothèse ne manque pas de séduction, mais elle invite à ne pas accorder une crédibilité pure et parfaite à ce que dit Wesley Clark. D'autres analystes considèrent que Wesley Clark constitue plutôt l'avant-garde d'un tandem Hillary Clinton-Clark. Une fois encore, l'homme ne dévoilerait pas ses véritables ambitions. Mauvais début.

Cette hypothèse comporte un autre inconvénient : celui de laisser Clark entraîner les démocrates dans une reconstitution plutôt fantaisiste de l'histoire au risque de déprécier jusqu'à la courageuse lucidité de Dean. Wesley Clark, en effet, prétend s'être opposé dès le départ et de façon constante à l'invasion de l'Irak. Cela en ferait, à côté de Dean, un des très rares à avoir gardé la tête froide. Cela, malheureusement, ne résiste que bien partiellement à la vérification. L'ancien commandant des troupes de l'OTAN n'a jamais montré de convictions pacifistes ni même de sens de la mesure dans les Balkans et ses prises de position à propos de l'Irak ont été pour le moins instables. Les mensonges ont été si nombreux et si graves depuis l'avènement de Bush qu'on espérait autre chose qu'une brume épaisse de la part d'un soi-disant pacifiste démocrate.

Sans doute bon praticien de l'art militaire dans ce que cette science (?) peut avoir de plus brutal, Clark est connu, en tout cas, pour son manque de sens politique. Il ne sait pas ce qu'est une campagne électorale. Il sous-estime gravement le besoin de transparence que ressent présentement l'électorat américain. Déjà, comme militaire, il avait très mal mesuré l'onde de choc qu'aurait lancée un affrontement direct avec les Russes lors du débarquement de ceux-ci à l'aéroport de Pristina. Ses adjoints l'auraient-ils laissé faire qu'il aurait peut-être provoqué la troisième guerre mondiale.

En somme, candidature peu convaincante en ce qui touche à la présidence; colistier imprévisible auprès d'un Dean plus constant et cohérent dans son opposition à l'invasion de l'Irak. Il ne faudrait pas beaucoup de Clark pour que le recul républicain cesse de bénéficier aux démocrates.

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Les démocrates ne pourront pas faire l'économie d'une révision en profondeur de leurs relations avec Israël et avec l'électorat juif des États-Unis. Leur parti a toujours reçu un appui marqué de la part de cette tranche de l'électorat ainsi que des médias qui influencent et cultivent cette clientèle. Cette connivence n'est plus aussi assurée depuis que la Maison-Blanche version Bush se conduit comme le plus sûr appui du gouvernement Sharon. C'est dans ce contexte qu'il faut situer la déclaration du candidat Dean estimant nécessaire de rendre la politique américaine plus neutre face aux affrontements entre Palestiniens et Israéliens. Bien que parfaitement sensée, la proposition de Dean a provoqué la protestation véhémente de Lieberman, autre aspirant à la candidature démocrate. Pas question, a fait savoir l'ancien colistier d'Al Gore, de modifier une politique américaine qui ne s'est jamais démentie depuis cinquante ans. Difficile de savoir à ce stade si une partie de l'électorat juif ne préférera pas, pour la première fois, faire confiance aux attitudes solidement pro-israéliennes des républicains. Le risque est grand pour les démocrates.

Le candidat Dean a pourtant raison. Les États-Unis ont poussé si loin leur soutien à Israël que le monde arabe et bien des pays traversés par d'autres cultures identifient les deux États. Que le pays auquel son hégémonie donne les moyens de tous les arbitrages tranche toujours en faveur d'Israël, même quand ce pays se donne tort, cela n'est ni sain ni glorieux. Certains, comme Hillary Clinton et l'aspirant Lieberman, refuseront d'envisager même la plus sommaire réflexion sur cette préférence américaine et s'emploieront à empêcher Dean de la mener à son terme. Cela réduira d'autant les espoirs de voir les démocrates proposer à l'électorat une politique plus équilibrée et calmer l'opinion arabe.

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Bien à tort, les différents candidats à l'investiture démocrate accordent jusqu'à maintenant bien peu d'importance au carnage que la Maison-Blanche a effectué sous la présidence de Bush dans les acquis politiques et sociaux. On hésite encore à blâmer autant qu'il le faudrait une administration qui accentue les privilèges des riches, qui bafoue le droit du public et des élus à l'information, qui réduit l'autonomie des tribunaux, qui place l'immigration sous le signe de la suspicion et du racisme, qui fracasse ou prétend domestiquer toutes les institutions internationales, qui espionne et emprisonne sans le moindre souci des règles élémentaires, qui dépense des milliards sans consentir à la moindre reddition de comptes. On ne sait même pas, tant ils hésitent à se dissocier de Bush, ce que les aspirants à la candidature démocrate modifieraient dans les orientations américaines si le pouvoir leur était remis.

De deux choses l'une : ou les démocrates partagent les vues de l'équipe du président Bush ou, tout en les regrettant, ils n'osent pas les contester. Dans le premier cas, leur confier le pouvoir ne changerait rien; dans la seconde hypothèse, c'est de lâcheté qu'il s'agit et cela n'incite pas à leur faire confiance.

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La présidence républicaine a accumulé en bien peu d'années les assauts contre les principes démocratiques et les mensonges les plus divers. On se réjouirait qu'elle n'en soit pas récompensée par une réélection. Les aspirants à l'investiture démocrate ne mériteront cependant le pouvoir que s'ils montrent plus de respect que Wesley Clark pour la vérité, plus d'équité face au Proche-Orient, plus de lucidité et de courage dans la défense des valeurs érodées par l'équipe Bush.

Laurent Laplante
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