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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 22 mars 2004

Simplistes et têtus, mais pas toujours

Paul Martin et Jean Charest ne totalisent à eux deux qu'une douzaine de mois de gouvernance, mais ils ont déjà étalé la preuve d'une commune aptitude au simplisme, à la superficialité, à la myopie. Tous deux présentent comme de courageux changements de cap ce qui est soit aggravation du néolibéralisme soit ajustement cosmétique. Tous deux cherchent non pas à assainir les moeurs politiques ou l'emprise démocratique sur l'économie, mais à pactiser avec les puissants et à faire accepter aux autres les disparités sociales. On ne doit pourtant en déduire qu'ils ont toujours tort. Selon l'adage, même une montre arrêtée indique l'heure juste deux fois par jour...

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« Nous sommes prêts », disait la publicité du Parti libéral du Québec (PLQ) pendant la campagne électorale de 2003. « Notre équipe manque un peu d'expérience », confesse aujourd'hui le chef du même parti. Nous n'en sommes quand même pas à l'humilité, car Jean Charest a déduit de ses ratés non qu'il pouvait avoir tort, mais que l'imbécile électorat tarde à comprendre les avantages du néolibéralisme. M. Charest ne va modifier le cap, mais parler plus fort et de plus près.

Cela rappelle une autre époque. Quand Daniel Johnson père a renversé Jean Lesage en 1966, quelques gourous de la révolution tranquille, déprimés par le retour en selle d'une équipe présumée dépassée, ont d'urgence tenté, avec exactement la même suffisance, d'expliquer au chef de l'Union nationale la route à suivre. Ils se targuaient de bien connaître les besoins de ce pauvre peuple québécois et ils pressaient le nouvel élu de se placer au service de leur grandiose vision. Entre quatre murs, les grands-prêtres de la parousie bureaucratique avaient martelé aux tympans du nouveau premier ministre les certitudes de la planification gouvernementale moderne et nouvelle vague : concentration, déconcentration, décentralisation, etc. Les « planeurs » craignaient, bien sûr, qu'un chef né de l'Union nationale ne retienne même pas le minimum, mais il fallait tirer stoïquement le meilleur parti possible d'un politicien issu de la roture que méprisait le Parti libéral. À la fin de la studieuse journée, le nouveau premier ministre, dont on avait sous-estimé l'humour et la lucidité, avait résumé ces cours prétentieux : « Si je comprends bien, ce que vous voulez, c'est qu'on rapproche les micros des gens, mais pas les haut-parleurs... » Il avait tout compris.

Jean Charest, lui, ne sait rien de cette époque et présume prétentieusement que le malentendu profond entre lui et l'électorat découle de la bêtise de l'électorat : il ne va pas cesser d'apprêter la réingénierie à toutes les sauces ni de fragiliser tout ce dont l'État québécois s'est doté. Il va parler plus fort et réduire la distance entre ses discours et les oreilles du bon peuple. Ce qu'il appelle consultation se confond à ses yeux avec une simple augmentation du nombre de décibels.

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Le dénommé Paul Martin, qui aurait pu consacrer ses années de patience à réfléchir, se juge lui aussi fin prêt à sa grande mission. Il promet changements, assainissement, réformes. Copinage? Fini. Nominations frelatées? Bannies à jamais.

La réalité, Paul Martin l'ignore visiblement. Il présente donc comme la trouvaille du siècle la création d'un comité de plus pour guider les choix gouvernementaux en matière de postes névralgiques. Aurait-il un minimum de lucidité qu'il se pencherait en priorité sur les nominations dont l'équilibre canadien a besoin en priorité : les nominations des juges à la Cour suprême. Voilà, en effet, un tribunal appelé à connaître des litiges entre deux paliers de gouvernement et qui, pourtant, contrairement à ce que savent les pee-wee dès leur première incursion en zone sportive, est composé de personnes nommées par un seul « club ». Je veux bien qu'on prépare mieux les nominations du président de Radio-Canada ou de Via-Rail, mais Paul Martin ferait oeuvre plus utile et respectable si, dès demain, sans frais supplémentaires, il faisait de la Cour suprême du pays un tribunal avalisé par les provinces autant que par le gouvernement central.

Quant aux nominations à la tête des sociétés relevant de l'État, n'importe quel démocrate lucide comprendrait qu'il s'agit là d'une tâche qui ne se délègue pas. Ce n'est certes pas aux « chasseurs de têtes » qu'un gouvernement élu doit s'en remettre du soin de trouver les grands commis qui penseront non selon la grammaire néolibérale, mais selon les nécessités sociales. Que GM confie à des « chasseurs de tête » la sélection du gestionnaire appelé à mettre à pied des milliers de travailleurs pour redresser le bilan de l'entreprise, cela, bien que cruel, s'harmonise assez bien avec les moeurs en vigueur dans ce monde. Qu'un gouvernement recoure aux mêmes conseils pour « alléger » la fonction publique, voilà qui révélerait une sinistre confusion entre la sphère de l'entreprise à but lucratif et les sollicitudes attendues de l'État. Il est vrai que Paul Martin n'a jamais hésité à affamer l'assurance-emploi selon son propre credo capitaliste, mais ce n'est pas une raison pour confier aujourd'hui aux conseillers du capitalisme la tâche de choisir tous les grands serviteurs de l'État. Loin d'assainir l'écurie d'Augias créée par MM. Chrétien et Gagliano, le « ménage » promis par Paul Martin risque d'y répandre encore plus d'irresponsabilité.

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Ce triste bilan de nos deux premiers ministres ne doit pas conduire à décrier toutes leurs initiatives. Dans le cas des négociations entre le gouvernement québécois et Alcoa, il n'est pas dit, en effet, que le conglomérat de l'aluminium ait raison sur toute la ligne. Certes, un gouvernement ne devrait renier la signature de son prédécesseur que dans des circonstances rarissimes. Ni Jean Charest ni son ministre de l'Industrie n'ont montré d'élégance ni même de clarté en remontant le cours du temps. Admettons quand même ceci : les cadeaux plantureux offerts au fil des ans aux alumineries rendent infiniment coûteux les emplois créés par cette industrie; peut-être même Hydro Québec en arrive-t-elle à construire des barrages à seule fin d'alimenter une industrie démesurément énergivore. Si tel est le cas, que l'examen se fasse, malgré le chantage éhonté auquel se livre le président et chef de la direction d'Alcoa.

Je ne conclus pas. Je me borne à dire qu'il n'est pas malsain d'enfin évaluer de près une politique de production énergétique dont les coûts et les destinataires ne coïncident pas nécessairement avec l'intérêt québécois.


Laurent Laplante

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