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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 20 mai 2004

Pauvre environnement!

Beau sujet de discours et fréquent prétexte à colloques et à sommets, l'environnement n'obtient pourtant pas les soutiens concrets dont il aurait besoin. Quelle que soit l'échelle qu'adopte l'observation, lenteurs et atermoiements sautent aux yeux plus souvent que les palpables améliorations dans les comportements et les politiques. Au Québec et au Canada, personne n'a encore une idée précise des moyens envisagés pour freiner les hausses de gaz à effet de serre et, plus globalement, pour donner forme au protocole de Kyoto. En revanche, plusieurs décisions gouvernementales vont à l'encontre du protocole, certaines par des voies détournées, d'autres avec la tranchante arrogance des certitudes.

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L'industrie porcine procure au Québec des revenus considérables. Dans une comptabilité qui excelle à ne retenir que le quantitatif et l'immédiat, les revenus qu'engendre ce secteur de la production animale se chiffrent par d'éloquentes centaines de millions. Si, pourtant, on internalise la totalité des coûts requis par ces ventes colossales, il devient plus difficile de pavoiser et de ranger la production porcine parmi les activités massivement lucratives. Les quantités de lisier dépassent, particulièrement dans certaines régions, la capacité d'absorption des sols, les métaux lourds ou peu biodégradables atteignent des concentrations alarmantes, la nappe phréatique subit des pressions telles qu'on doit s'inquiéter pour la salubrité de l'eau.

Il était heureux, par conséquent, que le gouvernement québécois précédent décrète un moratoire sur la prolifération des mégaporcheries. Cette pause devait mettre la recherche et les inventaires à contribution et équilibrer l'appétit de l'industrie et le seuil de tolérance de la nature. Les mois ont passé sans qu'une information crédible et assimilable parvienne au public. Accusations et plaidoyers pro domo se sont enchevêtrés sans que se dégage, du moins au palier de l'opinion moyenne, une conclusion nette. À proximité des odeurs caractéristiques, l'industrie avait piètre réputation; à distance, les retombées immédiates du productivisme servaient d'efficaces arguments aux « pragmatiques ». Malgré la persistance des nébulosités, voici que le gouvernement québécois, rompant avec la position de son prédécesseur, annonce la levée du moratoire. Il ne donne toutefois pas le signal d'une expansion incontrôlée; il incombera désormais aux municipalités, nanties de nouveaux pouvoirs, d'apparier la capacité d'absorption du milieu et les visées de l'industrie.

Théoriquement défendable, la décision gouvernementale équivaut en réalité à une abdication inquiétante. Le monde municipal, premier palier de la vie démocratique, n'a jamais fait le poids face aux assauts de l'entreprise privée. Ce sont les promoteurs et non les élus qui, prenant en main le développement urbain, ont vidé les centres-villes et affligé la banlieue de centres commerciaux conçus pour l'automobile. Ce ne sont pas les municipalités qui ont perçu la nécessité du zonage agricole, mais un ministre québécois de l'Agriculture qui sut obtenir l'appui des producteurs agricoles. Quand un ministre québécois de l'Environnement confia imprudemment aux municipalités le soin de vérifier la salubrité des plages publiques, les tests cessèrent rapidement d'être convaincants et il fallut rétablir la certification centrale. Le monde municipal, au Québec en tout cas, n'a jamais défendu l'environnement. Lui confier la surveillance des mégaporcheries, c'est combiner la démagogie et l'irresponsabilité. On sait, en effet, ou on devrait savoir ce qui va se produire. On prétendra alors que la démocratie comporte des risques...

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Si l'on quitte le palier local pour les hautes sphères de la planification énergétique, on n'entre pas nécessairement dans un monde plus rassurant. En nationalisant l'électricité en 1962, les Québécois n'ont pas pour autant « socialisé » Hydro Québec. État dans l'État, Hydro Québec table encore et toujours sur les grands travaux plutôt que sur un équilibre conforme au développement durable (sustainable development) entre les économies d'énergie, la mise à contribution des énergies nouvelles et l'addition de barrages. Au fil des ans, ses prévisions ont toujours surestimé la croissance de la demande. Hydro Québec s'en justifie grâce au discours alarmiste : « S'il fallait que nous manquions d'électricité... » En plus de quarante ans, jamais Hydro Québec n'a accordé plus qu'une attention souriante et polie à l'énergie éolienne et autres suggestions des rêveurs écolos. On a même cyniquement profité de la crise du verglas pour se libérer du carcan (?) de la politesse et des études environnementales et brusquer les corrections de trajectoire. Tout comme l'entreprise a tenté grossièrement d'intégrer à sa facturation des hausses tarifaires qui n'avaient pas encore obtenu l'aval de la Régie de l'énergie. Marge persistante entre nationalisation et socialisation.

Hydro Québec en arrive aujourd'hui à proposer un retour en arrière, c'est-à-dire le recours à une énergie gazière nettement plus polluante que l'hydroélectricité. Destinée à l'exportation et non aux besoins québécois, la nouvelle usine enlaidirait sensiblement le bilan québécois des émissions de gaz à effet de serre. Kyoto ? Ni vu ni accepté. Doit-on rappeler que le premier ministre du Québec fut, dans une vie antérieure, à un autre palier de gouvernement et au sein d'une formation politique orientée autrement, ministre fédéral de l'Environnement et qu'il assista à ce titre au sommet de Rio ? La rumeur veut que le Canada, lors de ce sommet, ait pris des engagements...

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Pendant ce temps, les automobilistes québécois fulminent contre les hausses des prix de l'essence. Hausses d'ailleurs brutales, mais qui ne créent quand même pas une situation comparable à ce que connaissent, par exemple, les pays européens.

J'éprouve quelques difficultés à me laisser attendrir par les plaintes des automobilistes. Certes, les pétrolières méritent tous les reproches pour leur voracité. Elles en méritent de supplémentaires quand elles déterminent la politique étrangère des États-Unis et provoquent des embargos et des occupations qui tuent par dizaines de milliers les enfants et les civils. La riposte, ce n'est quand même pas de maintenir ou d'accentuer notre dépendance individuelle et collective à l'égard du pétrole. Celui qui se plaint du prix du pétrole et qui roule à 130 kilomètres-heure refuse d'admettre qu'en levant le pied il annulerait la hausse. Ne lui demandons donc pas d'entrevoir qu'en levant le pied il réduirait aussi le volume des ventes des pétrolières. Il veut un pétrole à bon marché pour mieux se livrer au gaspillage.

Quand les transports en commun dépérissent ou dépendent des subventions des pouvoirs publics, les automobilistes ont forcément une part de responsabilité dans les orientations qui menacent l'environnement. Apparemment, ils n'en prendront conscience que si les hausses du coût du pétrole les obligent à envisager une voiture moins goulue ou l'autobus.

Je suis conscient qu'on ne peut rompre instantanément la soudure qui arrime des milliers de conducteurs à leur voiture, mais c'est tout de même en préparant ce « divorce » que les individus aideront à l'application du protocole de Kyoto. Et qu'ils réduiront l'emprise des pétrolières sur notre imaginaire et notre mode de vie.


Laurent Laplante

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Recherche : Mychelle Tremblay

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