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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 24 mai 2004

L'abstention ne suffit pas

En n'utilisant pas leur droit de veto contre un blâme du Conseil de sécurité adressé à Israël, les États-Unis ont quelque peu dérogé à leurs entêtements diplomatiques. Il n'y a pourtant pas de quoi pavoiser ou prévoir que les États-Unis traiteront désormais Palestiniens et Israéliens selon l'équité. Pour ramener le régime d'Ariel Sharon au respect des conventions internationales et des droits fondamentaux des Palestiniens, il faudra plus qu'une épisodique abstention. De la cohérence, du courage, des sanctions, de l'information.

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Consolante en elle-même, l'abstention américaine est dictée par le calcul à court terme plutôt que par une réflexion en profondeur ou une soudaine compassion pour les souffrances palestiniennes. Sans les documents qui ont étalé sur la place publique les sinistres comportements des geôliers étatsuniens et la baisse de popularité qui en a résulté pour le candidat Bush, on peut parier que Washington aurait torpillé de son veto habituel la résolution soumise au Conseil de sécurité. Base plutôt friable pour construire l'espoir d'une révision de la politique américaine à l'égard d'Israël.

La Maison-Blanche n'a d'ailleurs consenti à l'abstention qu'après avoir édulcoré le projet de résolution. Ce qui, à l'origine, constituait une claire protestation contre les procédés méprisables des démolisseurs israéliens n'était plus, après la censure étatsunienne, qu'une timide mise en garde. En rétorquant aussitôt que la résolution ne changerait rien à ses assauts contre la communauté palestinienne de Gaza, le porte-parole d'Ariel Sharon a montré qu'il savait le poids des réticences américaines et la futilité de la résolution.

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Ce qui achève de stériliser le geste du Conseil de sécurité, c'est le silence assourdissant du candidat démocrate à la présidence étatsunienne. Au lieu de se dissocier d'urgence et fermement de la politique étrangère de George Bush, John Kerry se tait ou avalise. Peut-être par calcul, peut-être par insignifiance, peut-être par conviction, le candidat démocrate enracine dans l'électorat de son pays la conviction qu'une présidence démocrate n'attiédirait aucunement l'appui offert à Israël. D'avance, John Kerry s'est engagé à toujours bloquer à l'ONU les résolutions qui pourraient blâmer Israël; maintenant que les révélations sur l'Irak et les crimes perpétrés par Israël ébranlent la popularité du président Bush, Kerry demeure bêtement prisonnier de ses promesses imprudentes. Il fallait, en effet, toute la candeur d'un analphabète politique pour promettre à un homme comme Ariel Sharon un endossement tout azimut. Si Kerry persiste à jouer les caméléons pendant que défilent les scandales et que grandit au sein du peuple américain le sourd murmure des consciences troublées, qu'il ne se surprenne pas si les sondages ne reportent pas sur sa candidature les suffrages que perd George Bush.

Insistons quand même un instant sur la différence entre résolution et résolution. Certaines importent plus que d'autres. Ainsi, le Conseil de sécurité retrouve chaque année sur son agenda la troublante résolution 1487 et en renouvelle la honte. Il s'agit, à l'encontre de toute décence, de garantir l'immunité aux soldats étatsuniens engagés dans à peu près toutes les aventures militaires auxquelles sont mêlés les États-Unis. Résolution honteuse pour les États qui l'endossent et humiliante pour ceux qui s'abstiennent. Dans le contexte d'exactions systémiques imputables aux soldats et au commandement étatsuniens, la résolution 1487 prend cette année un relief presque obscène. Bloquer enfin cette résolution dégradante importerait plus que l'adoption d'un blâme ouaté. Osera-t-on le faire?

Question de susciter un peu plus d'indignation, qu'on remarque au passage les contorsions que se permet la justice américaine. C'est, en effet, sa cour martiale et non la justice irakienne qui prononce jugement sur des crimes commis en Irak... Juger et condamner en huit jours un bouc émissaire pour un crime commis à l'extérieur du pays, mais laisser croupir des centaines de prisonniers de guerre dans les limbes de Guantanamo sans ressentir le besoin d'une quelconque justice, ainsi le veut l'arbitraire étatsunien.

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Les États-Unis ne sont pourtant pas seuls à manquer de courage. Endosser une résolution au Conseil de sécurité ne coûte pas grand-chose, surtout si aucun corollaire n'en découle. Mettre en branle un mouvement de boycott contre un État qui manque à tous ses devoirs, ce serait autre chose. C'est même le seul moyen que possède la communauté internationale pour secouer l'entêtement d'Ariel Sharon et de ses extrémistes.

Sur le terrain du commerce bilatéral, n'importe quel pays peut exprimer sa désapprobation sans redouter le veto étatsunien. Poursuivre les transactions commerciales avec Israël tout en blâmant les débordements criminels d'Ariel Sharon, n'est-ce pas imiter Tartuffe? La Maison-Blanche sert alors d'alibi au verbiage stérile : « J'aurais voulu sévir contre Israël, mais la Maison-Blanche m'en empêche... » Il me semblait pourtant que les droits fondamentaux émergeaient dans les discussions dites commerciales lorsqu'il s'agissait d'abus africains, asiatiques ou sud-américains... Est-il normal que l'Europe pousse les hauts cris quand des propriétaire terriens britanniques sont bousculés par la réforme agraire d'un dictateur africain, mais qu'elle commerce comme si de rien n'était avec un pays coupable d'un véritable génocide?

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Un aspect de l'actuel comportement israélien me trouble particulièrement. Par-delà les entêtements d'Ariel Sharon dont je n'attends ni conversion ni sens de la mesure, nombre des décisions rendues récemment par la Cour suprême d'Israël contredisent de façon frontale le consensus transnational. Cela inquiétera quiconque professe, comme moi, un grand respect pour l'institution judiciaire. Exemple encore tout chaud, le verdict rendu par le tribunal suprême de l'État d'Israël : la démolition de maisons palestiniennes par les béliers mécaniques de l'armée israélienne se justifient au nom de la légitime défense.

Exactement comme le fait le clan Bush, la Cour suprême d'Israël s'arroge ainsi le droit de réécrire les textes conçus et ratifiés par la communauté internationale. La torture n'est plus la torture, la légitime défense n'est plus la légitime défense, la guerre n'est plus la guerre, les droits des prisonniers de guerre s'évanouissent grâce à une exégèse spécieuse et malhonnête, l'entrée en scène du terrorisme libère de tous les engagements contractés à l'époque (sans doute préhistorique ) où les États civilisés acceptaient l'arbitrage ou le jugement de leurs pairs.

Selon une doctrine que l'on croyait intégrée aux cultures démocratiques, trois pouvoirs se partagent les décisions : celui des élus, celui qui traduit en activités quotidiennes les décisions des élus et celui qui, à distance des deux autres, vérifie la conformité des gestes avec les textes constitutionnels et législatifs. Si l'armée, dont les porte-parole ne sont pas élus, siège au Conseil des ministres d'Ariel Sharon et si le pouvoir judiciaire s'incline devant les préférences des généraux, que reste-t-il de la démocratie dont Israël aime à se targuer?


Laurent Laplante

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Recherche : Mychelle Tremblay

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