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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 28 juin 2004

Notes sur une campagne électorale

28 juin : jour de scrutin aujourd'hui dans l'ensemble du Canada. Déjà, avant le décompte des voix, certaines particularités peuvent s'accoler à ce scrutin. Pour la première fois en plus de dix ans, les résultats ne sont pas d'emblée prévisibles et aucun parti ne détient la certitude de sortir majoritaire de l'épreuve. Deux peuvent espérer le pouvoir, le Parti libéral (PLC) de Paul Martin et le Parti conservateur (PCC) de Stephen Harper; aucun des deux ne croit sérieusement obtenir la majorité des sièges. Même si les campagnes électorales durent aujourd'hui moins longtemps qu'autrefois, la volatilité de l'opinion a eu amplement le temps de se manifester; jusqu'au dernier instant, le pendule s'est promené. Les vedettes et les thèmes qui ont dominé la fin de la campagne diffèrent, de façon assez notable parfois, des préférences exprimées au départ par les partis. Rien de dramatique jusque là. Le bilan s'enlaidit cependant quand il s'avère que l'électorat n'a pas reçu réponse à ses questions, qu'il n'a droit aujourd'hui qu'à des choix étriqués et que ses volontés ne se refléteront guère dans le prochain parlement.

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1. L'arbitraire du prince aura, une fois de plus, une fois de trop, joué son triste rôle. Le premier ministre libéral, Paul Martin, a usé du privilège exorbitant que lui accorde la tradition parlementaire britannique : il a choisi la date du scrutin selon son caprice. Il l'a choisie hâtive parce que, d'une part, les sondages lui devenaient moins favorables et que, d'autre part, un scrutin brusqué empêchait le tout nouveau Parti conservateur de construire sa cohérence et de se doter d'un programme. Mauvais départ pour un test démocratique.

2. Une fois de plus, les chefs des quatre partis majeurs ont monopolisé l'attention des médias. Le public ignore ainsi à peu près tout des enjeux régionaux, des équipes en présence et des programmes des petits partis. Cette distorsion qui pénalise les groupes dits marginaux durera tant qu'une forme de proportionnelle ne s'intégrera pas au processus électoral.

3. Une fois encore, on a traité en événements névralgiques les deux débats télévisés entre les quatre chefs de partis majeurs. Cette survalorisation du spectacle ne constitue pourtant pas un critère fiable; un cabotinage victorieux ne garantit pas une bonne gouvernance de l'État. À noter toutefois que, pour la première fois dans l'histoire politique canadienne, les quatre chefs de partis étaient suffisamment bilingues pour participer aux débats télévisés dans les deux langues.

4. Le financement des soins de santé (car on ne parle jamais des services sociaux) devait être le thème central de la campagne. Ce ne fut pas toujours le cas. Pire encore, la campagne se termine sans que soit assurée une solution rationnelle. Les deux partis qui peuvent aspirer au pouvoir ont promis de dégager des milliards pour permettre aux gouvernements provinciaux de s'acquitter de leurs responsabilités, mais de telles promesses ne vont pas à la racine du problème. Le déficit fiscal, dont le PLC continue à nier l'existence, est tel que les responsabilités provinciales vont continuer de croître, tandis que les surplus fédéraux deviendront toujours plus fastueux. Les cadeaux envisagés améliorent l'immédiat, mais ne comblent pas les besoins prévisibles. Le déséquilibre est structurel et menace déjà l'avenir. Il n'est pas dit, d'autre part, que le système de santé dont bénéficie présentement le Canada conservera l'accessibilité et la gratuité qui font son grand mérite social. Le Parti libéral le promet, mais sa mesquinerie passée déprécie cet engagement; de son côté, le Parti conservateur fera assurément une grande place à la privatisation des services. La campagne électorale n'a rien réglé.

5. La campagne, en revanche, a accordé une importance inattendue aux questions d'ordre « moral » : droit à l'avortement, mariage entre personnes du même sexe, respect des minorités, etc. Même si certaines différences entre les partis sont patentes, les jeux ne sont pas faits. Il n'y a pas unanimité au sein des députations libérale et conservatrice ni sur l'orientation à choisir ni sur le lieu - Parlement ou Cour suprême - d'où doit venir la réglementation. Situation cocasse, mais aussi scandaleuse, la campagne a opposé à propos de morale et de valeurs éthiques un parti marqué jusqu'à l'os par son culte du patronage et un parti qui dissimule aujourd'hui encore son credo puritain et punitif et ses préférences pour la gestion à but lucratif. Un menteur et un cachottier ont discuté vertu.

6. J'attendais beaucoup du NPD. En raison de l'arrivée au premier plan d'un chef crédible et séduisant. En raison aussi des orientations sociales et économiques du NPD. La pâte n'a pas levé, du moins pas au Québec. Peut-être le NPD a-t-il été piégé lui aussi par le déclenchement hâtif du scrutin. Toujours est-il qu'il n'a pas eu le temps ni peut-être le goût de se situer clairement par rapport au BQ qui courtise au Québec la même clientèle que lui. Les divergences à propos de la constitution ne devraient pourtant pas convertir en ennemis deux partis aux philosophies souvent convergentes.

7. Quant à lui, le Bloc québécois a mené une campagne sans histoire et sans imprudence. Le BQ a d'ailleurs laissé sur leur faim les journalistes qui adorent les feux d'artifice et qui, dans l'intérêt public (?), détestent les campagnes électorales trop « pépères ». Sagement, Gilles Duceppe a ignoré les « gérants d'estrade ». Il n'avait d'ailleurs qu'à laisser venir à lui un électorat blessé par l'odieuse manipulation pratiquée contre lui par les gouvernements fédéraux successifs. Cet écoeurement du public québécois est tel que de nombreux électeurs qui se tenaient loin du parti souverainiste vont s'allier à lui aujourd'hui pour punir le Parti libéral. Si le BQ obtient 50 ou 55 % des votes québécois, on comprendra que bien des fédéralistes désenchantés et humiliés ont obéi à un besoin de fierté plus qu'aux séductions souverainistes.

8. Plusieurs personnalités ont joué pendant cette campagne un rôle autre que celui qui s'annonçait. Des premiers ministres provinciaux, ceux de l'Alberta et de l'Ontario en particulier, ont accrû par leurs gestes et leurs déclarations la faveur ou l'impopularité de tel parti fédéral. Le clan Martin a souffert des décisions ontariennes, tandis que l'Alberta a dépanné le parti de Stephen Harper. Le porte-parole auquel le chef Paul Martin faisait grande confiance au départ, Jean Lapierre, est rapidement passé à la trappe après quelques sottises de calibre professionnel. Décision sage.

Au Québec, c'est un allié du Bloc québécois qui a jeté une peau de banane sur la route du chef Gilles Duceppe. Incapable de se taire, triomphaliste toujours en avance sur l'histoire, le chef du PQ, Bernard Landry, a maladroitement relié ce que le chef bloquiste avait soigneusement distingué pendant toute sa campagne : le vote d'aujourd'hui n'a pas valeur de référendum. Avec des amis comme celui-là, Gilles Duceppe n'a nul besoin d'adversaires.

9. Certains ont déploré que certains thèmes majeurs, la culture par exemple, aient été escamotés. Reproche à la fois fondé et futile. La culture, doit-on le rappeler, ne se limite pas aux industries culturelles (quelle expression!). Opposer le parlement et la Cour suprême, cela révèle une culture particulière. De même, la culture influence le discours sur les mariages entre personnes du même sexe. La culture intervient aussi dès qu'il est question du protocole de Kyoto, du bouclier spatial, de la vocation de l'armée canadienne, des relations du Canada avec des pays sympathiques à la torture... La culture en couvre plus qu'on le croit.

10. Les innombrables supputations autour des gouvernements minoritaires ont surtout démontré notre ignorance collective à l'égard d'une telle éventualité. Il serait grandement temps d'y remédier si nous devons accéder un jour au scrutin proportionnel. Un gouvernement minoritaire peut survivre et même durer sans recourir à des alliances stables ou globales. La « balance du pouvoir » peut se déplacer d'un parti à l'autre selon les projets de loi. Le gouvernement minoritaire qui veut survivre doit tout simplement se montrer poli et ne pas se conduire en actionnaire unique et tout-puissant. En régime électoral régie par la proportionnelle, pareille politesse serait constamment indispensable. C'est visiblement ce que désire l'électorat canadien.

11. Beaucoup d'électeurs ne voteront pas pour leur parti préféré. Ils renonceront à voter en faveur du NPD pour mieux contrer le Parti conservateur, ils voteront en faveur du Bloc québécois pour empêcher les libéraux d'obtenir une nouvelle majorité, etc. Système frustrant où les gens expriment d'abord leur colère à propos du passé libéral et leur crainte des intentions conservatrices.


Laurent Laplante

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Recherche : Mychelle Tremblay

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