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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 2 août 2004

L'exécutif en dehors des lois?

Depuis que les humains ont entrepris de trouver des alternatives à la monarchie, à la dictature et aux autres formes de pouvoir absolu, les hypothèses les plus courantes font interagir le législatif, le judiciaire et l'exécutif. La bureaucratie, toujours en quête de nouveaux attributs et suffisamment proche du trône pour affirmer son utilité, a (presque) réussi à créer et à occuper un quatrième fauteuil, celui de pouvoir administratif. Un fait résiste à ces évolutions plus ou moins téléguidées : certains pouvoirs détestent la lumière autant que peut le faire Dracula, tandis que d'autres se font une gloire de travailler à ciel ouvert. Ainsi, le pouvoir législatif invite la nation à suivre ses débats et le pouvoir judiciaire préfère garder ouvertes les portes de ses tribunaux. Dans l'autre camp, la tendance au secret et au huis clos ne cesse jamais ses assauts. Le pouvoir exécutif et son allié, le pouvoir administratif, s'accommodent merveilleusement de l'opacité et la favorisent de leur mieux. Nous en revenons ainsi à la situation qui prévalait avant que la démocratie fasse comprendre que « nul n'est au-dessus des lois ». Le combat pour la transparence démocratique doit reprendre; une fois de plus, c'est contre l'exécutif et son comparse bureaucratique qu'il faudra le mener.

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Le pouvoir législatif est, dans la triste logique à laquelle les gouvernements voudraient soumettre la société, le plus démocratique et le plus menacé. Il est, en effet, le seul qui découle directement d'une volonté de la population et qui corresponde, par conséquent, à l'espoir d'un peuple se gouvernant lui-même dans son propre intérêt. Ni le pouvoir judiciaire (sauf anachronismes étatsuniens...), ni l'exécutif ne résultent directement de choix prononcés par les citoyens. Quand l'importance des élus diminue, bien peu de caractéristiques distinguent la gouvernance des pays dits démocratiques de celle des régimes totalitaires.

Le pouvoir exécutif ne tient d'ailleurs pas tellement à ce que les élus accroissent leur espace. Il ne fera rien pour que la presse demeure ou redevienne diversifiée, car cela pourrait amener les citoyens à critiquer la gestion publique et à envisager d'autres orientations que celles de la gestion traditionnelle. L'exécutif ne considérera pas non plus comme une priorité la réforme du mode de scrutin. Une élection à la proportionnelle, prétendent les bénéficiaires d'une gestion encadrée et donc prévisible, déstabiliserait la gouvernance et favoriserait la montée en puissance du caprice populaire. Le pouvoir exécutif osera même se prétendre plus sensible au vouloir démocratique que les élus. Il invoquera donc avec morgue l'intérêt public pour dissimuler aux élus, au pouvoir judiciaire et aux médias, des masses croissantes d'informations. La sécurité nationale serait, d'après lui, mieux protégée par le secret que par la transparence démocratique.

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Le pouvoir exécutif ne se contente pas d'éroder subrepticement l'emprise des élus sur les orientations sociales. Il usurpe carrément sa place. Au Canada, pays (trop) fidèle aux principes du parlementarisme britannique, l'exécutif conserve ses privilèges traditionnels et s'en octroie d'autres. Le chef de l'exécutif détermine, comme au temps de l'arbitraire princier, la date du scrutin. Le même individu peuple la Cour suprême du pays selon ses préférences et sans se soucier de l'indépendance requise du pouvoir judiciaire. Puis, comme s'il ne lui suffisait pas de nommer les juges de la Cour suprême, l'exécutif corrige, ignore, bafoue à son gré les lois du pays. Même s'il est illégal d'extrader quelqu'un vers un pays pratiquant la peine de mort, l'exécutif canadien le fait. Même quand les élus jugent sain et urgent d'accorder une certaine protection aux voix qui dénoncent le gaspillage et le détournement de fonds publics, l'exécutif laisse la police fouiller l'appartement et les disques durs de la journaliste qui a amorcé l'affaire Arar. Les lois? « Nous verrons, semble dire l'exécutif, si elles sont applicables. »

L'exécutif juge pourtant irréprochable son interprétation de la démocratie. « Quand le peuple souhaite un changement d'orientation, il confie les leviers de commande à un autre parti politique et nous nous inclinons devant la sanction prononcée par la nation. » Sophisme supplémentaire. À quel moment le pouvoir exécutif a-t-il admis sa responsabilité dans le scandale des commandites? Jamais. L'exécutif n'a d'ailleurs pas vu d'indécence dans les différentes décisions prises dans ce dossier. Il a confié l'examen du dossier à un comité qu'il contrôlait, il a interrompu l'enquête au moment de son choix, il s'est présenté devant l'électorat avant que soit terminé cet examen. L'exécutif du gouvernement central a ainsi sauvé sa peau avant que soient connus d'un peu plus près les méthodes de gestion et l'ardent népotisme du très libéral président de la Société des Postes. L'ironie veut que le même André Ouellet ait, dans une vie antérieure, dirigé l'éphémère et illégitime ministère fédéral des Affaires urbaines et que l'actuel premier ministre libéral tente de nouveau d'intégrer le champ municipal dans les attributions fédérales. L'ironie signalera également que les précisions sur la poreuse gestion d'une société fédérale surviennent au moment où le gouvernement central se croit qualifié pour surveiller les dépenses des provinces en matière de santé.

Se plaçant au-dessus des lois, contredisant à son gré la législation du pays, veillant à ce que la presse demeure crédule et que le mode de scrutin continue ses distorsions, le pouvoir exécutif du gouvernement central ne passe décidément aucun des tests qui peuvent témoigner d'une santé démocratique.

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Il s'agit, cependant, d'une tendance lourde, non d'une carence circonscrite ou d'une amnésie de propagation récente. En Espagne, en Italie et même en Grande-Bretagne et aux États-Unis, l'opposition populaire à l'invasion de l'Irak a été ignorée par le pouvoir exécutif. Aujourd'hui encore, le pouvoir exécutif agissant à la Maison-Blanche renie ses engagements internationaux, stérilise de son mieux (?) le travail des médias, effectue un tri arbitraire dans les quelques décisions respectables de la Cour suprême, soustrait ses criminels en uniforme aux procès publics qu'ils méritent. Au Québec, le pouvoir exécutif se défausse de l'obligation judiciaire qui lui est faite de remédier enfin aux disparités de rémunération entre les hommes et les femmes, accorde plus de poids aux réclamations d'Hydro Québec qu'aux responsabilités du Québec en matière d'environnement, écoute avec plus d'empathie quelques matamores autochtones que le chef élu, renvoie aux calendes grecques la réforme du mode de scrutin...

La démocratie sera toujours une utopie, en ce sens que l'idéal qu'elle propose ne sera jamais pleinement atteint. Il est cependant urgent de rappeler à tous les pouvoirs exécutifs que leur travail n'a de légitimité que s'il accroît le contrôle de la nation sur ses orientations et que s'il rapproche de l'utopie.


Laurent Laplante

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Recherche : Mychelle Tremblay

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