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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 9 septembre 2004

Moeurs et moyens des dominateurs

Les axes ont toujours fasciné les chefs d'État. Même si plusieurs d'entre eux rêvent d'imiter le Dictateur de Chaplin, un certain réalisme finit par éveiller la plupart à l'avantage des alliances. Naissent alors les « bons regroupements » comme celui qui stoppa Napoléon à Waterloo. Le verso défensif de cette propension, c'est l'identification ou l'invention des axes que créent les « méchants » et qu'il faut craindre et écraser. La guerre de 1939-1945 a montré l'efficacité de la pédagogie : les pays de l'Axe, Allemagne, Italie et Japon, composaient à eux trois une seule menace. La propagande pouvait simplifier le compte rendu. Tout près de nous, la Maison-Blanche réutilise l'astuce en créant (et en remaniant) un axe du Mal dont elle veut faire craindre les débordements. Malheureusement pour la crédibilité de cette réédition, l'axe du Mal comprend cette fois des pays qui ignorent jusqu'à l'existence des partenaires qui leur sont imposés. En revanche, s'est constituée sous nos yeux un axe de pays dominateurs qui devrait nous inquiéter par ses moeurs autant que par ses moyens.

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Qu'existe déjà un tandem États-Unis-Israël, cela est vrai depuis plus d'un demi-siècle. Quiconque entretiendrait encore des doutes sur l'intime collaboration des deux États perdrait ses dernières illusions en prêtant l'oreille à la campagne électorale étatsunienne. On y chercherait en vain ne serait-ce qu'une nuance entre les positions du président Bush et celles de l'aspirant Kerry. Ce qui, en revanche, n'attire guère l'attention, c'est le désir qu'entretient un troisième larron, la Russie, de se joindre à l'axe des dominants. Sous la férule de Vladimir Poutine, l'ancienne puissance majeure améliore graduellement son économie, mais renoue avec des moeurs et des méthodes qui rappellent à la fois la brutalité des États-Unis et d'Israël et celle des anciens tsars ou de Staline. George Bush et Ariel Sharon saluent le courage de Vladimir Poutine.

Comme l'observait ces jours derniers le Guardian, la prise d'otages survenue en Ossétie du Nord ne s'est pas produite dans un vacuum. Depuis des années, l'armée russe mène contre la Tchétchénie une guerre qui ferait honte à n'importe quel Tamerlan. Seuls peuvent absoudre une telle sauvagerie les pays dominateurs qui trouvent là un prétexte à leurs propres crimes. À quelle fin cette violence de Moscou? Contenir, certes, les visées souverainistes de la Tchétchénie, mais aussi affirmer la détermination russe face aux avancées étatsuniennes dans la région. La méthode? Celle qui a déjà liquidé le quart de la population tchétchène.

Soljénitsyne, voilà presque quinze ans, recommandait pourtant deux voies différentes : celle du délestage volontaire et celle de relations plus égalitaires. Loin d'encourager le recours à la force, il s'exprimait ainsi : « Il faut d'urgence proclamer haut et clair que les trois républiques baltes, les trois républiques de Transcaucasie, les quatre d'Asie centrale, et également la Moldavie, si elle est plus attirée par la Roumanie, que ces onze républiques - oui! - sont destinées de façon absolue et irréversible à faire sécession » (Comment réaménager notre Russie?, Fayard, 1990, p. 11-12). Quant au style souhaitable du réaménagement, Soljenitsyne n'était pas moins explicite (ni moins candide) :

On y trouvera encore, malgré tout, cent peuples et nationalités de toutes dimensions, des considérables aux très petites. Et c'est là, à partir de ce seuil, que nous pourrons et devrons tous faire preuve de grande sagesse et grande bonté, c'est à partir de ce moment-là que nous devrons mettre en oeuvre toutes les forces de notre intelligence et de notre coeur pour établir une communauté féconde de nations amies, en assurant l'intégrité de chacune des cultures qu'elle renfermera et la conservation de chacune des langues qu'on y parlera.

Vladimir Poutine n'a que faire de tels conseils. Il ne négociera pas plus avec les Tchétchènes qu'Ariel Sharon ne le fera avec les Palestiniens ou George Bush avec les inspecteurs de l'ONU. L'axe des dominants croit à la force. Vladimir Poutine se sent compris.

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L'alliance entre prédateurs n'entraîne pas comme conséquence qu'ils se font mutuellement confiance. Certes, le prédateur reconnaît son semblable. Hitler estimait Franco. Mais le prédateur identifie aussi ses semblables comme d'éventuels rivaux. Le club des dominateurs préconisera contre les dominés le recours à l'intimidation, à la force, à la torture, au viol, au meurtre, mais chaque membre du cercle se permettra aussi, va sans dire, d'espionner ses associés et de leur mentir aussi souvent que nécessaire.

Bien sûr, Israël jure, la main sur le coeur, qu'aucun espionnage n'a été dirigé récemment contre les États-Unis, son meilleur allié et ami. Dénégation aussi crédible que l'engagement contracté par Israël de ne plus remettre des passeports canadiens à tel ou de tel de ses agents. Autant croire au Père Noël.

Certains observateurs prennent pourtant avec un grain de sel les rumeurs au sujet de taupes israéliennes au plus creux du Pentagone ou de la Maison-Blanche. « Pourquoi espionner quand Israël entre à volonté dans le salon ovale et se fait remettre avec le sourire tous les documents désirés? » Ce n'est pas si simple. Quand Israël revend à l'Afrique du Sud ou à la Chine la technologie achetée de l'oncle Sam, alors que les lois étatsuniennes lui interdisent de la revendre ou de l'utiliser à des fins militaires contre les Palestiniens, on sort de la diplomatie explicite pour entrer dans le clair-obscur. Il devient important pour Israël de savoir si quelque démocrate va poser des questions ou si le président va octroyer une dérogation à Israël. Mieux vaut écouter aux portes. Quand Israël, dont les démarcheurs ont beaucoup contribué à l'invasion de l'Irak, veut enchaîner en bombardant l'Iran ou en précipitant l'armée étatsunienne dans un conflit contre Téhéran, il devient utile de savoir quel climat prévaut parmi les conseillers du président et au sein du FBI, de la CIA et du Pentagone. Encore là, il faut prêter l'oreille. L'invraisemblable, ce serait qu'Israël n'espionne pas son puissant partenaire ès domination.

Cela pose à plusieurs juifs des États-Unis la question de la double loyauté. À compter du moment où un individu croit sincèrement que les intérêts israéliens et les intérêts étatsuniens coïncident en tous points, rien ne l'empêche de transmettre à Israël les secrets que Washington a pu « oublier » de livrer à son allié. La double loyauté rend poreuse la membrane entre ce qui appartient à l'un et ce que l'autre veut savoir. Il n'est pourtant pas dit qu'aux yeux du FBI, par exemple, l'osmose des intérêts soit parfaite.

(Il y a des années, au moment où Israël traversait des heures difficiles, un de mes bons amis juifs de Montréal m'avait raconté la levée de fonds à laquelle il venait de participer en compagnie d'environ quatre-vingt autres juifs. En quelques heures à peine, ils avaient souscrit quatre millions. De dire mon ami : « I'm not a very good jew, but the least I could do for my people is to throw in money... » J'avais noté la référence à « my people ».)

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Tous les membres de l'axe des dominateurs sont tentés par la manipulation des médias qui fascinait Goebbels. À Moscou, Vladimir Poutine use et abuse de son emprise sur le monde de la télévision et des images. La presse écrite résiste mieux à l'endoctrinement. Aux États-Unis, ce sont aussi des réseaux de télévision comme CNN et Fox qui maintiennent la population dans l'ignorance, la peur et le fanatisme; c'est de la presse écrite qu'il faut attendre le sursaut démocratique. En Israël, Ariel Sharon veille à ce que la population se nourrisse auprès de « réseaux sûrs » et échappent aux « mensonges » et aux « propos haineux » d'al-Jazeera. Quant à la presse écrite, Sharon intimide de son mieux le Haaretz et, aidé en cela par le Jerusalem Post du sympathique Conrad Black, contrôle jusqu'à la paranoïa le vocabulaire journalistique.

S'il est un dénominateur commun entre les stratégies médiatiques des dominateurs, c'est le matraquage pratiqué par une télévision superficielle et servile. Un peuple écrasé devant l'écran est mûr pour l'endoctrinement. Lire pourrait libérer.


Laurent Laplante

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Recherche : Mychelle Tremblay

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