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Dixit Laurent Laplante
Québec, le 4 octobre 2004

Minoritaire et louvoyant

Des gouvernements minoritaires qui ont quelques fois animé la scène fédérale canadienne, j'ai gardé le souvenir de régimes particulièrement polis et préoccupés de justice sociale. Au point que, comme bien d'autres, j'avais presque érigé en principe qu'ils sont intrinsèquement préférables. Le comportement du gouvernement minoritaire de Paul Martin m'incite aujourd'hui à modérer mes généralisations. Qu'il s'agisse des relations avec les États-Unis, des attitudes canadiennes à l'égard de Haïti ou de l'Afrique, du flirt entre Ottawa et les municipalités ou du protocole de Kyoto, l'actuel gouvernement libéral louvoie au lieu de viser des objectifs clairs. Comble de myopie, il pactise avec ce que les partis d'opposition proposent de moins désirable, c'est-à-dire le bellicisme conservateur et l'homogénéisation néodémocrate.

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Le bouclier antimissiles n'illustre que trop éloquemment les roueries du cabinet Martin. Pendant que le premier ministre se prétend plongé dans une réflexion existentielle à l'issue encore incertaine, le ministre de la Défense déclare la cause entendue. De dire le ministre, non seulement le Canada endosse la position étatsunienne, mais le Canada n'a d'autre choix que celui-là. S'il en est ainsi, pourquoi ne l'a-t-on pas reconnu pendant la campagne électorale? Pourquoi avoir fait semblant que les jeux n'étaient pas faits? Comment justifier, autrement que par une interprétation narcissique du rôle de l'exécutif, le refus de consulter les partis d'opposition? La transparence et la souplesse promises par l'aspirant premier ministre Paul Martin font faux bond au premier ministre Martin. Le risque d'un désaveu à la Chambre des communes est cependant minime, puisque le parti conservateur de Stephen Harper approuve d'avance les stratégies étatsuniennes, quelles qu'elles soient. La survie étant assurée sur ce front, oublions les engagements. Louvoyons.

Même flou peu artistique quant aux autres aspects de la politique étrangère canadienne. On ignore toujours le rôle exact du Canada en Afghanistan. On ressent de la honte devant la pingrerie du gouvernement canadien face au drame haïtien. On hésite entre les pleurs et la rigolade en voyant ce qu'il en coûte pour réparer les sous-marins d'occasion que le Canada a achetés de Londres et dont l'utilisation demeure aussi imprécise que l'ensemble de la politique militaire canadienne. Dans les circonstances, on préférerait ne pas entendre l'homélie moralisatrice de Paul Martin à l'ONU et ne pas subir le verbiage creux du ministre Pierre Pettigrew survolant les misères haïtiennes. Mais cela ne suscite pas le risque d'un renversement, car les populations dont on parle ne votent pas.

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Paul Martin et Jean Charest, premier ministre du Québec, ont tant vanté ces jours derniers les mérites du « fédéralisme asymétrique » qu'il convient d'en examiner les contours d'un peu plus près. Autant, en effet, on doit admettre que les provinces retirent un soulagement de l'entente intervenue entre elles et le gouvernement central, autant il faut doucher les enthousiasmes excessifs. Malgré l'entente, le problème de fond, celui du déséquilibre fiscal, demeure entier. Le gouvernement central nage encore dans les surplus et les provinces savent déjà quand les déficits les rattraperont. Le gouvernement central a été contraint de poser un geste; il n'a procédé à aucun transfert de points d'impôts et il conserve dans son arrogante exclusivité son pouvoir de dépenser comme et où il l'entend.

Cela est si patent que le gouvernement minoritaire de Paul Martin promet toujours aux municipalités une aide qui va à l'encontre de la constitution et qui confirme l'ampleur des surplus fédéraux. Toujours louvoyant et imprécis, Paul Martin invite pourtant les municipalités à la patience; advenant une campagne électorale brusquée, le premier ministre canadien pourra réitérer sa promesse. On sait que Paul Martin aime les promesses qui tournent à la rengaine; ce sont les moins coûteuses.

Asymétrique ou pas, le fédéralisme à la Paul Martin conserve donc les caractéristiques qu'il revêt depuis le règne de Pierre Trudeau. Il est centralisateur, arbitraire, cachottier. Grâce aux premiers pas de l'enquête du juge Gomery, on sait au moins que Paul Martin, qui prétend n'avoir jamais rien su du scandale des commandites, assistait à la séance du cabinet où l'ancien premier ministre Jean Chrétien a lancé l'appel aux armes et déclenché la lutte publicitaire contre les mensonges souverainistes. Les provinces? Elles demeurent ce qu'elles étaient aux yeux des prédécesseurs de Paul Martin, c'est-à-dire un palier de trop dans la gouvernance. Pareille attitude, toutefois, ne met pas en danger le gouvernement minoritaire, car le NPD et le Parti conservateur sont d'accord pour que le gouvernement central finance à même ses surplus fiscaux de nouvelles intrusions dans les domaines municipal et éducatif.

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Louvoyeur prudent et même pusillanime, Paul Martin ne tient rien pour acquis. Il multiplie même les précautions pour que l'avenir soit encore plus propice au Parti libéral. Il choisit seul les nouveaux juges de la Cour suprême. Il n'admet pas qu'il est peu décent de peupler de façon unilatérale le tribunal chargé de l'arbitrage entre les deux paliers de gouvernement. Il abroge la loi qui appariait les hausses salariales des juges et des députés, ce qui évite une grogne temporaire dans le public et balaie sous le tapis une question forcément délicate. Louvoyons. Paul Martin ne voit pas non plus d'inélégance à prolonger sans consultation le mandat d'une gouverneure-générale qui sera peut-être appelée à baliser le choix du prochain gouvernement. Advenant, en effet, que le gouvernement minoritaire soit défait à la Chambre des communes, une alternative se présente : ou bien la gouverneure-générale dissout la chambre et déclenche un nouveau scrutin, ou bien elle explore d'abord la possibilité d'un gouvernement de coalition tiré des partis d'opposition. En maintenant en place Adrienne Clarkson, Paul Martin manifeste sa préférence pour un nouveau scrutin. Un gouvernement confié au Parti conservateur et survivant grâce à la tolérance des autres partis aurait la chance de montrer de quoi il est porteur. Paul Martin entend faire l'économie d'une telle expérience et il louvoie en conséquence. Manoeuvre d'autant moins équivoque que le premier ministre a vérifié l'interprétation que la gouverneure-générale donne à son mandat : elle privilégiera le conseil du premier ministre... Tout en arguant de la nécessité d'assurer la stabilité du pays, le premier ministre prouve que le Parti libéral n'a pas changé de moralité ni de style en substituant Paul Martin à Jean Chrétien. L'occasion aurait été belle de désigner comme gouverneur-général une personne choisie après consultation avec les partis d'opposition. La fiction monarchique se serait estompée encore davantage et l'autonomie canadienne aurait progressé d'un cran.

Pouvoir, quand tu nous tiens!


Laurent Laplante

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Recherche : Mychelle Tremblay

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