Québec, le 30 septembre 1999
Un beau test politique
Si le gouvernement est bien servi jusqu'à maintenant par la fragmentation
du front commun intersyndical, il est aussi mal servi que possible par
l'inquiétant comportement d'un certain nombre de policiers de la Sûreté du
Québec.
Résumons en quelques images. Premier élément, des policiers membres
d'une police nationale manifestent en uniforme et l'arme de service à la
hanche. Cela, déjà, soulève une brochette de questions. Malheureusement,
la description n'est complète qu'à condition d'en ratisser plus large.
Deuxième élément, ces manifestants avaient jugé bon de faire disparaître
le badge qui identifie chaque policier. Troisième élément, le porte-parole
des policiers réagit en absolvant ses manifestants : « L'arme fait partie de
l'uniforme. Puisqu'il y avait uniforme, l'arme allait de soi. » De ces éléments
découlent de graves questions.
Face à la déclaration trompeuse et
méprisante du leader syndical, on hésite
entre deux hypothèses qui ne sont d'ailleurs pas
incompatibles : s'agit-il de sophisme ou de sottise?
D'une part, le monsieur oublie de justifier le port de
l'uniforme dans une manifestation syndicale; d'autre
part, le monsieur néglige d'expliquer pourquoi
les policiers, assez « scrupuleux » pour lier
l'arme à l'uniforme, ont omis d'arborer
l'identification, qui, autant et plus que le
révolver, fait partie de l'uniforme.
Cette mémoire sélective du leader
syndical attire l'attention sur une première
source d'inquiétude : la police,
théoriquement au service de la
société, méprise suffisamment le
public pour le mal renseigner, peut-être
même pour lui mentir.
Creusons encore. L'uniforme policier n'est pas,
contrairement à ce que semblent croire les
dirigeants syndicaux, un vêtement dont les
policiers peuvent disposer à leur
guise. L'uniforme policier est, en lui-même,
un message de la société à ses
citoyennes et citoyens. La société,
par cet uniforme, donne une accréditation
visible à ses représentants aux yeux de
la population. Quand apparaît l'uniforme, les gens savent que voilà un représentant
de l'ordre et ils se gouvernent en
conséquence. Le policier qui endosse
l'uniforme pour défendre ses
intérêts personnels et corporatifs sombre,
au moins moralement, dans la fausse
représentation.
Quand, en plus, le policier arrache de son uniforme ce
qui pourrait révéler son identité,
un deuxième constat émerge. Les
policiers, mandatés pour exiger des citoyennes
et citoyens qu'ils répondent de leurs gestes,
ont tenté ici de n'avoir jamais à
répondre de leurs gestes à eux. Dans
l'exercice de leur mandat social, ils exigent
l'identification de ceux qu'ils interrogent ou
appréhendent; au cours de leur manifestation,
ils ont veillé à ce qu'on ne puisse les
identifier de façon formelle. Ce n'est
certes pas la première fois que des policiers
recourent à une astuce aussi répugnante,
car la défunte Commission de police et son
président, le juge Roger Gosselin, ont
déjà dénoncé de telles
entourloupettes. Cela n'allège pourtant pas
la responsabilité des manifestants
d'aujourd'hui. Qu'on sache qu'il s'agit d'un
comportement antisocial de la part de policiers qui
réclament des autres un parfait civisme.
Que faire? Dans l'immédiat, deux gestes
s'imposent. L'un à l'intérieur de la
Sûreté du Québec, l'autre à
l'extérieur. À plus long terme, des
réflexions plus larges méritent
l'attention.
Dans l'immédiat et à l'intérieur
de la Sûreté, oui, il convient de
vérifier si des policiers ont bafoué le
règlement en portant l'uniforme sans qu'il soit
légitime, en se masquant derrière un
inquiétant anonymat, en utilisant des
véhicules qui ne leur appartiennent pas pour se
regrouper. Dans l'immédiat et à
l'extérieur de la Sûreté du
Québec, des enquêteurs et des procureurs
indépendants doivent vérifier s'il n'y a
pas lieu de traduire certains manifestants policiers
devant les tribunaux pour des comportements allant non
plus à l'encontre du réglement, mais
à l'encontre du Code
criminel. L'intimidation, que je sache, n'a pas
à être interdite par le règlement
de la Sûreté, car elle tombe sous le coup
du Code criminel. Une enquête interne ne
saurait donc lever cette inquiétude.
À plus long terme, d'autres questions se
posent. Par exemple, la manière de
dispenser la formation policière. Former
à Nicolet et dans une atmosphère de
pensionnat des gens qui devraient, d'urgence, se
familiariser avec les valeurs d'une
société démocratique et ouverte,
cela m'a toujours paru un non-sens. Autre question
névralgique, celle du recrutement. Les
corps policiers peuvent choisir librement, car ils
n'embauchent même pas 10 % de ceux et celles qui
posent leur candidature; mais ont-ils les bons
critères de sélection? Troisième
et dernier exemple, le syndicalisme policier,
légitime mais de maniement délicat, doit-il être encadré de plus près? Ne
serait-ce que pour en évaluer
précisément le caractère
démocratique.
Je termine en revenant, sans naïveté, au titre
de ce petit commentaire : le gouvernement Bouchard,
comme ses prédécesseurs, fait face ici
à un test politique de première
importance. Va-t-il se cacher derrière la
direction de la Sûreté du Québec et
s'en remettre à une enquête interne?
Aura-t-il le courage de réclamer de la police
qu'elle respecte la société de droit et
les principes qui la fondent?
Ministère de la Sécurité publique
Sûreté du Québec
Code criminel
© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999 |