Dixit Laurent Laplante
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Québec, le 18 octobre 1999
Les garçons, l'école, la société

Je suis surpris de la surprise.  Je me demande où étaient, il y a cinq ou dix ans, ceux et celles qui sursautent aujourd'hui en apprenant que les garçons entretiennent de moins bonnes relations avec l'école que les filles.  Il n'y a, en effet, rien de substantiellement inédit dans les tendances lourdes qu'étale le récent avis du Conseil supérieur de l'Éducation.  Il y a longtemps, par exemple, qu'est patente la mésentente entre l'école québécoise et nos garçons.  Tant mieux, cependant, si le débat qui n'a pas eu lieu lors du premier diagnostic secoue enfin la société québécoise.  Tant mieux si l'avis d'octobre 1999 retentit plus que l'étude publiée par le minisère de l'Éducation en décembre 1991 et qui disait la même chose.

Reculons dans le temps.  Revenons un instant à l'époque où, par remaniement du cabinet Bourassa, Michel Pagé quittait le ministère de l'Agriculture pour prendre la relève de Claude Ryan à l'Éducation.  Souvenons-nous des chiffres qui le choquèrent à son entrée en fonction : 36 % des jeunes quittent le secondaire sans avoir obtenu le diplôme terminal et 60 % de ce décrochage est le fait des garçons.  M. Pagé invita alors le monde de l'éducation à tout mettre en oeuvre pour que l'on réduise de 2 % par an au moins le taux des abandons.

À défaut de constater du neuf, avons-nous au moins creusé les explications?  À peine, me semble-t-il.  Qu'on me permette de relire ce que j'écrivais dans Le Soleil (S'agit-il d'un déterminisme familial?) en février 1992 : «Ce que je constate cependant, à lire ce rapport sur le décrochage, c'est que seulement 12,3 % des mères des décrocheurs et des décrocheuses détenaient un diplôme collégial ou universitaire, alors que 48,3 % des jeunes parvenus au DES, quatre fois plus, avaient une mère pourvue de ce document.  De même, 14 % des «enfants du décrochage» avaient un père pourvu d'un diplôme collégial ou universitaire, contre 60,7 % pour ceux et celles qui parviennent au DES, Là aussi, quatre fois plus.» Le décrochage, pouvait-on penser alors, commence souvent à domicile.  On dit encore cela et bien d'autres choses.

Mais les garçons dans tout cela?  Ils sont aujourd'hui ce qu'ils étaient en 1991, dignes fils ou petits-fils de ceux que nous avons été.  Débrouillards, instinctivement adaptés à un milieu fondé sur l'affirmation masculine, satisfaits aussi longtemps que les pairs les accueillent, comblés s'ils peuvent étaler les signes extérieurs du succès, capables de coups d'éclat sportifs ou scientifiques, mais farouchement analphabètes en tout ce qui touche à la culture, à l'art, aux impondérables, convaincus que la fin justifie les moyens et que la seule éthique buvable est celle qui consiste à ne pas se faire prendre.  Ce garçon type deviendrait recteur d'université qu'il ne verrait aucun illogisme à vendre son établissement à Coca-Cola.  C'est dire.

L'entourage des garçons est aussi ce qu'il était.  Au foyer, le travail scolaire s'effectue sous l'oeil de la mère et en l'absence du père.  L'école, qui ne semble pas savoir que la garde partagée existe, continue, sexistement, à expédier à la mère seulement les bulletins et les autres relevés scolaires.  Quand le jeune garçon arrive à la maternelle puis à l'école, il entre dans un monde massivement féminin.  Il y cherchera en vain parmi les adultes qui l'entourent des présences et des modèles masculins.  La petite fille trouve partout, à la maison comme à l'école, des exemples de femmes sensibles, chaleureuses, délicates, cultivées.  Le jeune garçon, lui, ne peut discuter instruction et culture qu'avec des femmes.  Comme il a, lui aussi, besoin de modèles, il les cherche et les trouve là où les hommes se manifestent : dans le sport, dans la gestion pratiquée à la machette, dans l'informatique unidimensionnelle et sans état d'âme, dans le jargon et les attitudes du leadership et de l'entrepreneurship à courte vue.  Très tôt, la société cassée en deux place le jeune garçon face à une alternative sans échappatoire : ou il consent aux longs efforts qui conduisent aux sommets de la pyramide sociale ou il se désintéresse de tout cela et se résigne à un petit pain, quitte à s'intégrer aux groupes de pression qui pratiquent le coup de force.  Il choisit.  Pourquoi se fatiguerait-il à essayer d'atteindre les échelons intermédiaires puisque la société les supprime à mesure sous prétexte de rationalisation?

De quoi pleurer?  Oui.  De quoi se décourager?  Non.  Mais de quoi inviter les pères à s'intéresser à l'école, de quoi presser les écoles de renseigner les pères autant que les mères, de quoi inciter la garderie et l'école à recruter leurs personnels de façon moins unisexuée, de quoi montrer aux pouvoirs publics et privés ce qu'il en coûte à la longue de toujours parier sur les «gros bras» de la gestion à la Rambo.

Le Conseil supérieur de l'Éducation a parlé clairement.  Faudra-t-il qu'il nous resserve les mêmes verdicts dans cinq ans?




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© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999
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