Dixit Laurent Laplante
Barre de navigation
Paris, le 15 novembre 1999
La face sombre de l'ingérence

Le pendule de la discrimination poursuit son inexorable navette.  Hier, les Serbes tuaient les Kosovars; aujourd'hui, les Kosovars tuent les Serbes.  Dans un temps comme dans l'autre, ceux qui n'appartiennent à aucun des deux camps sont persécutés dès qu'on les soupçonne de sympathie pour l'un des deux.  La seule différence qu'on puisse prévoir entre hier et demain, c'est que le Kosovo sera bientôt, de fait sinon de droit, indépendant.  Cela, en soi, n'est pas un drame.  Ce qui en est un, c'est que le Kosovo sera ce qu'on ne voulait pas qu'il soit : un pays ethniquement homogène.

Les faits sont désormais suffisamment établis pour qu'émergent les questions névralgiques.  Deux rapports crédibles et récents convergent dans leurs constatations et dans leur analyse, l'un émanant de l'ONU elle-même, l'autre de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).  Pas de doute, disent-ils, une persécution a succédé à l'autre.  Les mandataires de l'ONU, à commencer par le toujours flamboyant Bernard Kouchner, assistent impuissants à la mise en place d'une administration musclée et intolérante à la botte de l'Armée de libération du Kosovo.

D'où la première question : pourquoi impuissants?  Pour différents motifs dont plusieurs pointent vers les tares congénitales de l'ONU.  Dans sa confrontation avec Belgrade, l'ONU a beaucoup parlé, plus parlé qu'agi, agi aussi avec la lenteur que pouvaient exploiter les leaders serbes.  L'ONU, faute de rallier à sa lecture du problème la Russie et la Chine, a choisi de s'en remettre à l'OTAN au lieu d'intervenir elle-même.  Elle faisait faire ce qu'elle ne voulait pas faire directement.  Elle substituait ainsi à une armée qu'aurait déléguée la communauté internationale une force de frappe aux ordres de l'OTAN et donc des États-Unis.  Triste héritage de la guerre froide, l'OTAN n'a rien pour séduire les Russes qui ont tout fait pour paralyser ou ralentir ses gestes.  Comme si cela ne suffisait pas, l'ONU, quand elle est enfin passée à l'action, n'a accouché que d'un mandat alambiqué.  D'une part, les 1 700 policiers internationaux font partie d'une Mission intérimaire; d'autre part, le Conseil de sécurité oblige cette mission à considérer le Kosovo comme faisant toujours partie de la Yougoslavie, mais à accroître dès maintenant la marge d'autonomie de la population kosovar en attendant un hypothétique accord politique.  On peut soupçonner enfin que l'aide promise par la communauté internationale a été plus rapide et abondante dans les déclarations que sur le terrain.

Une deuxième question concernerait non plus l'ONU et la persistante animosité entre les membres du Conseil de sécurité, mais l'OTAN.  Dominée comme elle l'est par les États-Unis, l'OTAN s'interdisait dès le départ toute intervention terrestre.  Pas question que des Américains risquent leur vie.  À larguer des bombes, on n'empêche pas l'épuration ethnique de se poursuivre sur le terrain.  Les Serbes en ont surabondamment profité.  Il n'était pas question non plus que les États-Unis paient enfin leur cotisation à l'ONU.  Les ressources mises à la disposition de Bernard Kouchner et de son administration demeurent donc aujourd'hui en deça des besoins.  Au tour des Kosovars d'en profiter.

Les interventions récentes de l'ONU ont causé tant de dégâts en Yougoslavie, au Timor oriental, en Somalie, que certains ne les souhaitent plus.  Ce n'est poutant pas dans cette direction qu'il faut chercher.  Ne pas agir, comme au Rwanda, est plus déshonorant que se saisir du problème maladroitement et trop tard.  En revanche, il est patent que de telles interventions, pour généreuses qu'elles soient dans leur intention, n'ont de chance d'améliorer les choses que si elles procèdent vraiment d'une volonté commune et que si elles demeurent du début à la fin des gestes de la communauté internationale.  Si la Chine, qui répugne à l'intrusion dans les affaires intérieures de la Yougoslavie, met son ambassade au service des communications militaires serbes, on ne s'étonnera pas que les États-Unis par OTAN interposée bombardent l'édifice.  Si la Russie n'est pas non plus d'accord avec l'entrée en scène de l'OTAN, on ne se surprendra pas si des soldats russes bloquent l'aéroport de Pristina au lieu d'y faciliter la circulation.  Quand les jeux de coulisse émiettent l'intervention commune, ce n'est pas l'intervention qu'il faut remettre en question, mais la mauvaise foi des acteurs.

L'humanité est dans la bonne voie quand elle refuse d'avaliser les génocides, quand elle lève l'immunité des dictateurs, quand elle s'oppose au nettoyage ethnique.  Elle avancerait plus rapidement dans cette voie si, au sommet, le droit de veto que détiennent les cinq membres permanents du Conseil de sécurité était perçu enfin comme ce qu'il est : anachronique et contraire à la démocratie.  Ce droit disparu, l'ONU pourrait parler de démocratie avec une plus grande crédibilité.




Haut de la page
Barre de navigation


© Laurent Laplante / Les Éditions Cybérie, 1999
Dixit À propos de... Abonnement Archives Écrire à Dixit